The Dark Knight, 2008, Christopher Nolan réalise un coup de maître. Amplement salué par la critique, jugé irréprochable par les spectateurs - dont la majorité sont devenus par la suite des inconditionnels du cinéaste - auréolé par l'Académie, l'artiste britannico-américain entre alors dans le cercle très fermé des cinéastes tendance où se côtoient les Tarantino, Fincher, Burton ou encore Eastwood. La sortie d'une nouvelle est synonyme d'événement à part entière, autrement dit : Nolan n'a pas le droit à l'erreur.
La force du cinéaste est de repousser les limites, il y a dans Inception une ingéniosité technique et scénaristique plus que bienvenue, quant à The Dark Knight Rises, en dépit de ses défauts, ce dernier reste un produit plus que correct voire exemplaire de la "gamme Nolan". Le dernier volet des aventures du Chevalier Noir dévoile par ailleurs le dernier fantasme du cinéaste : décrocher les étoiles. Une séquence d'ouverture en haute altitude, un Batman en roue libre dans son Bat survolant l'horizon et un plan final dans lequel Robin s'envole d'une plateforme. Aucun doute possible, à travers le personnage du justicier masqué, c'est Christopher Nolan qui s'envole. Son but : atteindre l'inatteignable.
Interstellar est-il grandiose ? Oui. Est-ce un chef-d'oeuvre ? Non.
Le trip astronomique et métaphysique de Christopher Nolan est étrange. Nous serons d'accord avec le lien de parenté avec 2001 : L'Odyssée de l'espace, des questions similaires se soulèvent, et l'esthétique tend à rejoindre le voyage interdimensionnel de Stanley Kubrick. Cependant, Nolan n'est pas Kubrick. Et voici justement soucis : Interstellar manque d'une identité propre.
Dans Interstellar, vous avez du Gravity par la retranscription hyperréaliste des conditions de vie dans le cosmos, vous avez du Alien avec son ambiance survival, vous avez du Sunshine par ses compositions musicales à couper le souffle (sur ce point, Hans Zimmer fait aussi fort qu'avec Inception), ajoutez à cela une touche d'Armageddon histoire de rajouter au scénario des pistes clichés telles que la notion de sacrifice. Et cela sans compter sur un caméo surprise nous renvoyant directement à Seul sur Mars.
La question n'est pas de comparer Interstellar à ses prédécesseurs mais force est de constater que la fameuse "recette Nolan" n'est pas évidente dans ce long-métrage. En outre, les rares instants dit Nolanien sont des copier-coller de son - cette fois - vrai chef-d'oeuvre : Inception. À l'image du film de 2010, Interstellar comprends trois strates : la première planète, aquatique, abyssale par sa dangerosité, renvoie tout droit au "réveil" de Cobb et par le même biais à la prise de conscience de Cooper, la seconde avec son environnement montagneux, neigeux, arctique fait le lien avec les péripéties de DiCaprio.Enfin, Gargantua - grand moment de cinéma - est une auto-référence à l'iconographie du cinéaste : la bibliothèque démultipliée dans son infinité, le prodige géomètrique se permettant de métamorphoser un heptagone en hectogone, voire méganone histoire d'atteindre l'inatteignable. Un Tesseract géant qui, en fin de compte, ne nous révèle pas grand-chose. Une nouvelle prouesse, rappelant fortement au passage les acrobaties de Joseph Gordon-Levitt dans le couloir incliné d'Inception : maîtrisé, parfait mais avec un arrière-goût de déjà-vu.
Christopher Nolan aime les sciences, les théories et autres questionnements. Mais n'en ferait-il pas un peu trop dans Interstellar à travers ses dialogues noyés de pédagogie grand public ? Il s'agit d'un équilibre imparfait, le long-métrage oscille constamment entre le novateur cinématographique et la fainéantise scénaristique, entre l'épopée stupéfiante et le divertissement d'action dans le but de ne pas perdre son audience. Christopher Nolan ne va pas au bout de ses idées. En témoigne ce twist final, étrange et étonnant, l'Amour avec un grand A, le seul, l'unique et pourtant le plus inexplicable des sentiments comme clé spatio-temporelle et solution de secours auprès de Cooper ? Nolan ne joue pas franc jeu.
Côté casting, c'est un quasi sans-faute, on retrouve un Matthew McGonaughey en plein dans son âge d'or depuis la série True Detective, une Jessica Chastain au sommet, Mackenzie Foy est une révélation et enfin, comme toujours, Michael Caine reste fidèle au poste. On peut regretter la présence monotone d'Anne Hathaway qui faisait déjà pâle figure dans The Dark Knight Rises, ou celle de Topher Grace comme revenu à la surface depuis Spider-Man 3. On en oublierait presque la présence de Casey Affleck tant ce dernier est habitué aux rôles secondaires et sans importance - si l'on excepte toutefois L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford -.
À noter que l'apparition surprise de Matt Damon a totalement gâché l'entière séquence sur sa planète, difficile d'imaginer un acteur de sa trempe dans un rôle sans réelles conséquences sur le récit. De ce fait, une bonne partie d'Interstellar se retrouve prévisible, et longue.
Dans ce bourbier astronomique, Christopher Nolan avec sa lubie de l'Amour avec un grand A exagère en conséquence sur l'émotion. L'une des séquences les plus marquantes est la revue en passage des messages de Murph, la fille de Cooper. N'importe quel père serait abasourdi de visionner en une fraction de minutes la croissante fulgurante - et la tristesse - de son enfant délaissé, cependant le montage insiste beaucoup. La scène parait fausse et McGonaughey donne l'impression de se forcer à sortir toutes les larmes de son corps. En bref, cela tombe à l'eau à l'instar de nombreuses autres scènes placées sous le signe du tire-larme.
Pour titiller l'émotion du spectateur, Hans Zimmer reste le Joker imparable de Christopher Nolan, ceci dit, l'utilisation de sa musique - bien qu’envoûtante - en devient étouffante voire bourdonnante. Elle va jusqu'à épuiser lors de scènes de tension. Dommage.
À l'image de la Loi de Murphy stipulant que tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera mal, il semblerait que Christopher Nolan n'ait pas su maitriser totalement son bijou. Pire encore, le réalisateur possédait une véritable mine d"or entre ses mains. Sans pour autant qualifier son douzième film de gâchis, Interstellar était à deux doigts de se retrouver au Panthéon des incontournables de l'exploration spatiale s'il ne s'était pas tenté de citer ses grands maîtres.
L'annonce du projet Dunkerque, film de guerre intimiste et huis clos (dans sa forme) en a étonné (et même légèrement déçu) plus d'un après l'expérience Futuroscopique d'Interstellar. Néanmoins, en réduisant son échelle de grandeur, Christopher Nolan a alors sorti un film plus abouti et - étrangement - plus impressionnant.