"Brilliant uchronic and paranoid thriller"
Ce sont les quelques mots laissés par notre Limguela national sur le site anglophone iCheckMovies. C'est cette phrase qui m'a poussé à voir le film, proposé sur MUBI en ce mois d'août 2020 dans le cadre d'une rétrospective sur le festival de Locarno.
Après visionnage, je dois dire que je ne peux qu'être en désaccord total avec cette analyse:
Uchronique ? Il est vrai qu'on n'a pas beaucoup d'indicateurs de temps ni de lieu dans ce film si ce n'est "Aquilea, 1957", une ville "imaginaire". Mais je pensais voir dans sa plus pure forme la lutte pour une idéologie et sa défense coûte que coûte alors qu'en fait on ne nous présente que deux camps de bandits indéfinis (les uns en costumes sombres et les autres en costumes clairs) se pourchasser les uns les autres avec tous les attributs de la pseudo-virilité propre à la "gangster way of life" du 20ème siècle: voitures, pistolets, costumes, cigarettes tout y passe; cela rappelle à certains moments l'esthétisation à extrême des malfrats de Peaky Blinders. La "Milonga de Flores" (signée Borges, ce qui fait tout de suite plus intellectuel que Peaky Blinders, mais qu'on ne s'y trompe pas) chantée au milieu du film dit bien "Para los otros la fiebre, y el sudor de la agonía y para mí cuatro balas cuando esté clareando el día [...] Mañana vendrá la bala, y con la bala el olvido, lo dijo el sabio Merlín, morir es haber nacido", ce qui laisse à penser que selon Borges, la seule façon honorable, courageuse de vivre c'est de se battre "comme un homme" (quand le jeune garçon se joint à la fusillade sur l'île, on s'offusque qu'il se prenne pour un homme) et de mourir en se faisant transpercer le poitrail.
Aucune réflexion politique intemporelle à l'horizon donc.
Paranoïaque ? Je vais en rajouter une couche mais il n'y a aucune paranoïa. Les gentils sont bien définis, ce sont ceux qui portent un costume sombre, qui se baladent toujours le pistolet à la main pour abattre froidement ceux en costume clair et qui élaborent des plans compliqués que les femmes et le petit peuple d'Aquilea qui ne bouge pas le petit doigt (en tout cas pas sur la gâchette...) ne peuvent pas comprendre. Il y a confrontation inéluctable pendant tout le film jusqu'à ce que les gentils en costume sombre ne soient plus assez nombreux.
Bref, je ne suis pas en train de théoriser de l'utilité ou non de faire de la résistance armée lors d'une "invasion" mais je constate juste que le film fait du romantisme exacerbé sur cette manière d'agir sans se préoccuper nullement du reste, avec de surcroît un zeste de supériorité morale auto-proclamée qui est d'assez mauvais goût. Le film a le tort en plus d'être assez désincarné puisqu'il se voudrait effectivement uchronique donc on se fout éperdument de ce qu'il advient aux personnages.