Invasion U.S.A.
4.2
Invasion U.S.A.

Film de Joseph Zito (1985)

Figure de proue d'une époque foisonnante qui regorge de petites pépites sans prétention mais pleines d'idées enthousiastes, Invasion USA est dans la catégorie opposée : celle des navets cyniques et prétentieux mais sans idée.

Tellement navrant qu'il en est involontairement si drôle qu'il en est d'autant plus navrant. Déversant des hectolitres de clichés stupides qui révèlent combien ces gens (scénaristes et personnages) persuadés de détenir un trésor sont profondément bêtes et ignorent tout sur tout. Des patriotes américains exaltés pleins d'idées fausses et malsaines

  • Sur leur supposée unicité (ils ont la paix des supermarchés, les bikinis ensoleillés, les cabriolets au sourire puissant : rien de tout ça n'existe en dehors de leurs frontière ),
  • Sur leur propre liberté (celle de s'enfermer dans une intolérance validée par le confort matériel),
  • Sur ce qu'est le terrorisme (des étrangers qui n'ont aucune valeur, rien à défendre mais rêvent par pure jalousie d'enlever aux Américains leur libre unicité exaltée),
  • Sur ce qu'est un danger (un sociopathe haineux qui tue de sang-froid des Américains en toute impunité),
  • Sur ce qu'est un héros (un sociopathe cool qui tue de sang-froid des étrangers en toute impunité),
  • et surtout sur ce qu'est le cinéma ....

Le scénario se tire des rafales de fusil automatique dans le pied  via des situations qui vont du pas-crédible-du-tout au franchement très ridicule, en passant par le wtf le plus total - tout en conservant une inexplicable apparence de sérieux.

La mise en scène fait bien plus que ne rien rattraper, elle enfonce le clou du je-m'en-foutisme avec un zèle à la hauteur d'un budget visiblement respectable [non j'ai pas vérifié avant d'écrire]. Malgré l'accumulation nauséeuse de clichés naïvement autocentrés du nombril censé toucher la fierté sensible du peuple Américain, il n'y a aucun sens de l'émotion, aucune tension. Le méchant est impuissant du début à la fin. Le gentil ne rencontre aucun obstacle, il a l'agilité d'un flan au pâté mais des centaines de balles l'évitent de d'au moins 5 m. Tandis que lui rétame d'un seul coup de feu à travers un mur, 2 mercenaires éloignés de 5 mètres l'un de l'autre. Non mais vraiment, cette scène existe.

Chuck Norris n'a évidemment aucun charisme, ce n'est plus à démontrer mais c'est particulièrement éclatant ici. Les scènes d'action sont souvent désamorcées par des plans raplapla qui n'aurait jamais dû être filmés, qui étaient si facile à enlever au montage, mais il semblent avoir été laissés là exprès pour démontrer qu'on en a rien à foutre et que de toute façon on va faire péter des bagnoles à coup de punchline, les veaux vont adorer.

Et de fait il a fait un box-office honorable [rhâ, c'est bon, je vais pas me retenir d'écrire tout ce j'ai pas vérifié non plus...] puis si il s'est vendu en vidéo comme des petits pains et 35 ans plus tard, n'a pas fini d'être un succès intemporel en streaming plus ou moins Hadopique.


Reconnaissons lui tout de même quelques qualités artistiques, preuves de sa conscience de sa place dans l'histoire du cinéma, comme par exemple ces hommages répétés aux trucages de Georges Méliès : on a plusieurs fois un plan sur Chuck Norris dans son élément naturel, le décor en carton pâte, puis un contre-champ sur le visage blêmissant de son adversaire, puis un nouveau plan sur le décor en carton pâte où Chuck n'est déjà plus. Bon Dieu mais comment fait-il, sursaute le spectateur ahuri ? Ou encore ces plans moyennement moyens sur l'adversaire médusé qui a perdu Chuck de vue, qui regarde nerveusement de gauche et de droite quand le spectateur stupéfait découvre que Norris est derrière lui ! Diable mais comment diantre ? Comme c'est grisant d'assister en direct à la naissance d'une légende...


Ainsi écrit avec les pieds, filmé avec le cul et monté avec le cul des pieds, ce film est tellement parfaitement mal branlé qu'il marque d'une pierre blanche l'histoire du cinéma. Le maître étalon de l'horloge atomique de tout ce qu'il ne faut pas faire. Du boutonneux amateur de soirées pizza-bières-potes au plus exigeant des retraités cinéphiles intellos, à peu près tout le monde est obligé d'avoir vu Invasion USA, *_le_* nanar absolu. Celui a défini et borné le genre [oui alors précision quand même : j'écris ça parce que je trouve que ça sonne bien et que j'ai pas beaucoup mieux à faire que m'écouter écrire, mais en vrai c'est pas un nanar. Un nanar est quand même censé être sympathique et celui-là, franchement, désolé mais non merci. On est plutôt dans la catégorie navet.].

Bref, arrivons-en là où je veux en venir, ma marotte du moment : ce genre a fini par presque mourir de sa nullité avant d'être racheté le capitalisme éternellement triomphant. Quand des parodies comme Commando s'avérait bien meilleures que l'original, ça sentait déjà le sapin pour la Canon, qui a disparu à force de ternir sa propre image de marque. Ça sentait aussi le pognon pour les grands studios qui ont récupéré la formule et largement augmenté le budget pour lui donner la patine clinquante qui lui manquait. Des artisans doués pour le superficiel et sans aucune velléité de profondeur comme Bay ou Eimrich ont pu ainsi porter le concept un cran plus haut : continuer à s'en foutre et faire péter les planètes à coup de punchline sans aucun souci de cohérence, mais à un rythme effréné, dans une ambiance parfaitement calibrée de pub pour un parfum de bagnole au soda.

Après la parenthèse Asylum qui a repris la reprise du concept en enlevant le budget et en rajoutant une couche de n'importe quoi bon marché pour vider une pièce à la fois le porte-monnaie des quarantenaires nostalgiques les moins exigeants, ce schéma mènera en fin de compte à l'avènement de la machine à cash la plus répétitive et efficace du monde : le MCU. Et on tremble à l'idée du prochain upgrade...

Tout ça est une autre histoire me direz-vous, et surtout ça reste à prouver. Alors d'une part je vous ferais remarquer que je l'ai indéniablement et parfaitement prouvé, hein, et d'autre part je vous conseille vivement d'essayer de regarder Invasion USA en pensant qu'il s'agit de l'ancêtre de la maquette du prototype des Avengers. Ça ajoute un petit frisson de navrance, propre à ravir le cœur du vieil amateur de déprime autoflagellatoire : si on avait su ou ça nous mènerait on n'aurait jamais pris ça à la légère. On aurait boycotté, on aurait défilé dans la rue, on aurait vendu la voiture, on aurait mangé bio et local. Mais bon c'était les années 80, on savait pas.

Gonzo_Bizarroide
3

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Créée

le 12 nov. 2023

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