Il n’y avait pas grand chose pour me séduire dans The Iron Claw. Porté par Zac Efron dans le rôle-titre, le film raconte le succès et le déclin d’une tristement célèbre famille de catcheurs, les von Erich. Produit par A24, The Iron Claw se révèle être néanmoins une sacrée bonne surprise : partant d’une histoire vraie somme toute assez classique, Sean Durkin déjoue les codes du biopic pour proposer un impactant regard sur le masculinisme.
Fritz von Erich ne souhaite qu’une chose : que ses fils soient les meilleurs, qu’importe le prix. Ainsi, les premières images du long métrage — un souvenir d’un combat du patriarche, dans un noir et blanc sublime — donnent la ligne directrice de celui-ci, puisqu’elles montrent un Kevin von Erich enfant déjà écrasé par l’ambition démesurée et tyrannique de son père. Des années plus tard, les inséparables quatre frères s’entraînent sans relâche pour pouvoir combattre sur le ring, mais surtout pour ressembler à ce que leur père attend d’eux, et plus généralement, à ce qu’on attend d’un homme. N’hésitant pas à réprimer leurs émotions (ne pas pleurer) ou à jouer sur leur frustration, en créant un classement de ses fils, Fritz von Erich installe un climat oppressant et violent qui cherche à détruire tout lien, et ainsi mènera la famille à la déchéance.
D’un biopic, en apparence, simple, The Iron Claw devient une tragédie poignante sur une famille déchirée par l’aspiration d’un père autoritaire et le poids asphyxiant d’un système masculiniste. À l’instar de leur passion, le catch, où l’issu du combat est ironiquement déterminée à l’avance, Sean Durkin joue avec son spectateur ainsi qu’avec ses personnages, impuissants, incapables d’agir contre ce système, si bien que Kevin parle naïvement de « malédiction ». Cette déclaration, annoncée dès les premières minutes du long-métrage, sous-tend ce dernier, car elle transforme chaque succès, chaque victoire, en un instant éphémère ; une fugace ascension pour mieux amorcer la chute.
Cependant, le réalisateur et scénariste ne se laisse jamais rattraper par la dimension, de fait, programmatique de son histoire. Sans révolutionner les schémas narratifs classiques du biopic, il a la finesse et l’intelligence de prendre son temps, aussi bien dans l’écriture que dans le découpage.
Car c’est en rendant chaque membre de la fratrie attachant aux yeux du spectateur que leur décadence quasi prophétique sera déchirante. La relation entre les quatre frères est à la fois fusionnelle et complexe, puisque The Iron Claw joue aussi bien sur leur fraternité et leur authentique amour que sur leur regret, la peur de l’ombre, et surtout, la peur du patriarche. Si le récit est certes tragique, il n’y a ni divinité, ni deus ex machina, ni fatalité ni « malédiction », seulement un père qui projette sur ses fils la frustration de ses échecs passés. Au cœur de ce fardeau qu’est l’héritage familial, du récit de nos tares héréditaires, chaque acteur trouve sa place, à commencer par le surprenant Zac Efron, qui trouve ici son meilleur rôle, et qui convainc pleinement. En jouant sur sa candeur, sur l’enfant qu’il est toujours, Sean Durkin tire le meilleur de l’acteur, supporté par une Lily James incandescente.
Si la narration est aussi prenante, c’est parce qu’elle est servie par une mise en scène qui permet d’apporter une grande douceur au long-métrage. Il faut tout d’abord citer le magnifique travail sur la photo, très chaleureuse, qui donne une amertume, une désillusion, en particulier quand il s’agit de filmer ces scènes typiques du rêve américain. Les longs plans fixes contrastent avec l’énergie des scènes de combat, étonnement rares mais dirigées avec grand soin. Elles ont le génie de ne pas être charcutées, sur-cutées : la chorégraphie est claire, les plan-séquences limpides, ce qui permet au spectateur de ressentir la violence de chaque coup tout comme l’épuisement et la rage des combattants.
Alors que le film, tout comme ses protagonistes, nuance ses émotions face à la dureté des événements, celui-ci s’autorise un dernier acte bouleversant, une note finale qui prouve la virtuosité de son récit, puisque la morale du film sort de la bouche d’enfants, dite aussi innocemment qu’elle est évidente : c’est normal de pleurer, même pour un homme.
Inspiré de faits réels, The Iron Claw relève pourtant plus de la fable que du biopic. En montrant comment un système masculiniste, et par extension américain écrase quatre hommes, Sean Durkin signe un film sincère, humain, porté par un casting lumineux. Un portrait tragique d’une famille qui vaut le coup d’œil.