A24 est toute de même une boite de production qui commence doucement à se faire un nom dans la sphère cinématographique indé. Spring Breakers, Under the Skin, Green Room, Moonlight, The Rover, Ex Machina, The Witch, American Honey, The Lobster, et j’en passe et des meilleurs. Maintenant It Comes At Night et bientôt Good Time. La ratio qualité/sortie pourrait faire pâlir les plus grands du monde du 7ème art. C’est impressionnant de voir le cinéma que nous connaissons de nos jours donner naissance à une entité de production avec autant de créations aussi novatrices qu’ambivalentes.


La première chose qu’il est possible de noter est que chacun de ces projets détient une personnalité artistique assez évidente à l’œil. It Comes at Night ne déroge pas à cette volonté d’afficher une proposition de cinéma différente, qui s’avère être le deuxième long métrage du jeune réalisateur américain Trey Edward Shults. Même si l’œuvre contient ses propres fondamentaux et sa propre force de mise en scène, It Comes at night n’est pas si éloigné d’un certain pan de la nouvelle facette du cinéma indé/horrifique qui s’agrandit actuellement, en faisant agiter sa science de la réalisation pour faire ressortir ses messages thématiques voire politiques.


Le projet qu’est It Comes at Night ressemble un peu à celui de The Witch : film de genre qui s’imprègne des mœurs d’une famille isolée où le doute et la peur vont s’abattre dans l’esprit de chacun d’eux, famille elle-même recluse dans une baraque abandonnée au milieu d’une forêt cachant bien des ombres. Puis, il y a cette qualité dans la réalisation, qui éviscère les codes horrifiques pour en faire une esthétique de l’épure et dont le minimalisme en devient presque anxiogène. La réalisation ne joue pas sur les jump scares mais accentue sa puissance sonore et joue sur les contrastes de lumière et sur la porosité des situations pour échelonner sa peur. Alors que la campagne de communication qui entourait le film voulait en faire le film d’horreur de l’été, le métrage de Trey Edward Shults est rien de tout cela, malgré certaines incartades horrifiques dans les songes de l’un des personnages.


It Comes at Night se rapproche du genre post apocalyptique et le survival en huis clos strident, aux confins de La Route de John Hillcoat, avec cette contamination invisible qui gangrène le monde qui nous est présenté et deux familles qui vivent sous le même toit dont la confiance l’une envers l’autre va basculer petit à petit. La contamination, on ne connait pas son origine, ni sa dimension mondiale. La seule possibilité pour nous de la contempler sont les conséquences que cela occasionne sur l’humain comme en témoigne cette première séquence aussi poignante que mise sous tension : où cette famille qui avec tristesse, brule et tue le grand père contaminé car sa guérison est impossible. Dès les premiers instants, le film installe son style : économie des informations, émotion disparate, montage rêche, photographie poisseuse, personnage simple mais tout de suite prégnant, et iconisation de la peur par l’image.


Les 30 premières minutes sont une leçon de cinéma de tension : avec cette séquence où il est question de l’effraction de la maison par un homme qui souhaite trouver refuge pour lui et sa famille, puis suivi de toute cette partie dans la forêt jusqu’à l’arrivée de la deuxième famille dans l’antre de vie. Le montage permet une réelle immersion viscérale et le mixage entre la musique et l’image accroit l’implication narrative et la pertinence de la réalisation.


La principale qualité, mais qui pour certains devient un défaut inhérent au métrage, est l’économie de moyen inséré par le film. Le spectateur, selon le réalisateur, est à la même place que les personnages : ce que savent les personnages, le spectateur le sait et inversement. C’est pour cela que le film contient de nombreuses zones d’ombres sans réponse, notamment à mi-parcours, lorsque la peur va s’insérer de part et d’autre de la maison : la provenance de cette contamination, la réalité sur le passé et les intentions de la deuxième famille qui est hébergée par la première, qui sont les personnes qui ont attaqué la voiture des deux pères de famille, qu’a vu le chien dans les tréfonds de la forêt, qui a ouvert cette fameuse porte laissant entrer le mal au sein de cette petite communauté paisible.


Les spectateurs, comme les personnages restent dans le doute. Et c’est ça toute la puissance du film, qui lie alors le fond et la forme avec une précision qui forge le respect : voir un film qui tombe dans l’anti artificiel, le non explicatif le plus total mais dans le même temps arrive à faire surgir de l’empathie pour les personnages. L’épicentre du film n’est pas la contamination en elle-même, mais les conséquences que cela apporte sur les relations humaines. Le doute qui s’immisce dans la tête des personnages est le vrai fardeau de l’humain, la peur de l’inconnu, la non confiance à l’autre. Il n’y a ni victime ni bourreau, juste une terre où l’on doit survivre face à l’autre. Trey Edwards Shults nous présente un monde presque animal, armé jusqu’aux dents où les règles sont celles de la vengeance ou de la justice de l’homme sur l’homme. Dans la manière de filmer une violence sèche et non démonstrative, de réhabiliter l’homme dans son environnement naturel, It Comes at Night rappelle par moments Blue Ruin de Jérémy Saulnier ou la filmographie de Kelly Reichardt, comme en témoigne ses dix dernières minutes finales, où l’intensité se fera aussi malaisante que fataliste.

Velvetman
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le 30 juin 2017

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