La critique qui suit ne sera pas exempte de spoilers. Les thèmes qu’aborde le film (la famille, la paranoia, la relation à l’étrange et l’étranger) ne peuvent être réellement expliqués qu’en se penchant sur l’œuvre dans son intégralité. Je me retiendrai donc de révéler toute l’histoire, bien sûr, mais il sera nécessaire que je m’attarde sur certaines scènes en particulier afin de mieux vous transmettre mon ressenti. Le paragraphe à éviter si vous voulez garder la surprise intacte sera donc précédé d’un avertissement.
It comes at night, c’est un film que je n’attendais absolument pas. J’ai vu la bande-annonce il y a une semaine seulement, mais déjà, je me disais que ça pouvait être sympa. Ça avait tout l’air du film d’horreur un peu haut-de-gamme, au sens où le traitement de l’ambiance semblait primer sur l’avalanche d’effets gores qui illustrent parfois le genre. Le film visionné, je peux confirmer que c’est bien le cas, et que le réalisateur (Trey Edward Schultz, un illustre inconnu du grand public, si j’en crois Internet) s’est très bien sorti de cet exercice. C’est un film pesant, noir, qui prend à la gorge et vous tasse dans votre fauteuil tant la vision de l’humanité (de l’homme, plutôt) y est criante de réalisme malgré une situation que bien peu ont déjà vécue.
L’histoire démarre d’emblée sur l’évacuation, la mise à mort et la crémation du grand-père malade d’une famille recluse, vivant dans une maison au fin fond des bois. On comprend, au fur et à mesure des dialogues, qu’une sorte de virus mortel s’est abattu sur la planète, mais on ne sait rien de plus si ce n’est qu’il est extrêmement contagieux. De même, on ne sait rien de l’état du monde à l’heure actuelle. Et c’est là le premier tour de force du film, puisqu’en une heure et demi de temps, il nous plonge dans un univers glauque et oppressant dont on ne sait (ni ne voit) pas grand-chose. Les personnages eux-mêmes n’en savent pas plus, ce qui contribue d’autant à installer une atmosphère tendue à souhait.
It comes at night n’est PAS un film d’horreur, malgré ce que les publicités veulent vous vendre. C’est un film d’angoisse (que je qualifierai de quasi-indépendant, sans les travers qu’on reproche habituellement au genre) avec une atmosphère post-apocalyptique particulièrement bien retranscrite. Les gros-plans très serrés, légion tout au long du film, font ressentir l’enfermement et l’isolement de cette famille terrifiée, et ce en intérieur comme en extérieur. On évolue tantôt dans la maison barricadée (fenêtres condamnées, couloirs étroits et sombres, plafonds bas), tantôt dans la forêt avoisinante, où les arbres resserrés étouffent les protagonistes et les spectateurs.
On ajoute au trio de départ père-mère-fils (ado) une nouvelle famille, constituée elle aussi d’un père, d’une mère et d’un fils (jeune enfant). Le film se concentre sur leurs interactions, en nous faisant comprendre que dehors, c’est la mort, et qu’ici, c’est la prison : les règles sont strictes, les dangers multiples. Le virus, des gens affamés qui tentent de survivre par tous les moyens, et quelque chose qui semble même rôder en forêt. Je ne connais aucun des acteurs, hormis Joel Edgerton (Loving) dans le rôle de Paul, mais les ai tous trouvés convaincants chacun à leur mesure.
J’arrive maintenant au point central du film qui vaudra bien une révélation ou deux (quoique mineures). Si vous ne voulez pas vous gâcher le plaisir de la découverte, sautez le paragraphe qui suit et passez directement à la conclusion.
spoiler
It comes at night, je l’ai dit, n’est pas un film d’horreur. C’est un film d’ambiance. Le titre est en cela à la fois trompeur et particulièrement habile, puisque « Il/ça vient la nuit » (traduction littérale) fait bien sûr penser qu’il doit rôder une sorte de monstre ou de menace tangible la nuit. Or, point du tout. Ici, la seule véritable menace (« It »), c’est la paranoïa apportée par la peur de l’inconnu et de l’autre. Jusqu’à l’arrivée de la nouvelle famille, nos héros se portaient plus ou moins bien. Puis, contact humain oblige, les tensions se créent, les doutes naissent, les peurs se forment. Et ainsi s’installe la paranoïa. Et pourquoi vient-elle la nuit ? Au cours de l’histoire, Travis fait plusieurs cauchemars dont le degré d’effroi augmente avec le temps. Après chaque cauchemar survient un évènement qui vient bouleverser la narration. C’est certes un peu convenu, mais diablement efficace, puisque la montée de la tension et de l’angoisse est directement liée aux cauchemars de Travis, qui sont annonciateurs de la tournure que prendront les choses. Certains éléments restent inexpliqués et pourraient faire croire qu’il existe bel et bien un danger concret à l’extérieur de la maison, mais ces détails sont, d’après moi, laissés à notre interprétation.
fin du spoiler
J’ai eu une très bonne surprise avec ce film, qui m’a happé dans son univers en quelques minutes seulement grâce à une installation austère convenant parfaitement au monde qu’elle veut représenter. La bande-son, parfois mélancolique, sait se faire oppressante aux bons moments. Des idées de réalisation m’ont fait frémir. C’est notamment le cas lors du premier cauchemar de Travis, au début du film, quand il évolue le long d’un couloir sombre : au bout, une forme indistincte; sur l’un des deux murs, des photos de famille. On progresse en même temps que le personnage vers la silhouette grâce à un travelling avant maîtrisé. On sait qu’il y a quelque chose au bout du couloir, et en même temps, on veut voir les photos qui nous en révèlent un peu sur le passé de cette famille. De fait, nos yeux balaient sans cesse l’écran et la tension grimpe.
It comes at night est un exercice de style réussi, efficace, angoissant. La relation père-fils y est savamment exploitée. Quant à sa narration épurée, réduite à son plus simple niveau, elle pourra en lasser certains, voire même en ennuyer d’autres. Mais pour le reste, je vous recommande bien évidemment d’aller voir ce film.