Un film comme It follows a tout pour déstabiliser le spectateur car tous les codes du film d'horreur (profondément enfouis dans l’inconscient collectif) valsent un à un.
Tout d'abord, la menace est complétement non-identifiée et non-identifiable. Tout est une menace, que celle-ci prenne la forme d'un proche ou d'un inconnu. Même le repère pris dans l'identification du croque-mitaine (on repense à Michael Myers, Freddy, Jason Voorhees,...) vole en éclat, puisqu'il prend l'apparence tour à tour d'une femme nue, d'une vieille femme en nuisette, d'un géant, ou encore d'un petit garçon au visage tuméfié. La menace est donc multiple.
Par ailleurs, le "suiveur" ne peut être vu que par le contaminé et par le spectateur (sauf exceptions), seul complice de l'héroïne dans la scrutation: la menace peut être partout, elle doit être trouvée pour la fuir. L'identification est donc à son paroxysme puisque le spectateur dispose d'une intimité avec l'héroïne supérieure à celle qu'elle partage avec ses amis,et on passe beaucoup de temps dans le film à examiner les recoins de l'image pour trouver un potentiel suiveur.
Ensuite, la contamination se fait par le sexe: pas forcément l'idée la plus originale du film, puisque cela fait immédiatement penser aux MST. Mais le tout se situe au-delà: It follows est un film postmoderne et, en tant que tel, situe l'angoisse à un autre niveau que celui des clichés. En réalité, le sexe est ici à situer dans la société puritaine des Etats-Unis: les adolescents avouent plusieurs fois leur malaise vis-à-vis du sexe (notamment lorsqu'ils reparlent de la fois où ils avaient trouvé des magazines porno, et à quel point c'était MAL de les regarder), donc le rapport sexuel est un acte culpabilisant, faisant resurgir les angoisses les plus intimes.
De même, les images d'angoisse qui apparaissent sont celles, soit d'images craintes: la mort (la vieille femme), la douleur (la fille au visage tuméfié et qui semble perdre les eaux), la maternité (l'enfant monstrueux), ou encore l'inceste (la mère qui viole son fils). Le tout est en réalité une gigantesque mise en forme des plus grandes peurs de l'humanité, et les héros ne semblent que vouloir échapper à celles-ci:
- soit en retournant en enfance (cf: Hugh qui veut redevenir un petit garçon et Jay qui raconte à quel point l'âge adulte la déçoit). Une particularité du film est d'ailleurs de ne montrer absolument aucun adulte (sauf sous la forme d'une menace, muette qui plus est), tout au plus entend-on la voix du père de la première victime: les héros sont livrés à eux-mêmes dans un monde qu'ils ne comprennent pas et que les adultes ont déserté.
- soit en fuyant en voiture le plus loin possible. Mais quel que soit la lenteur du retour du refoulé, il se fait de manière inexorable. Le film propose alors de partager la peur par le couple (cf: la dernière image du film) de manière à en apaiser l'intensité, voire à l'accepter.
Le réalisateur atteint ici des sommets en matière de mise en scène: les travellings et panoramiques sont légion et transcrivent parfaitement la fuite en avant des héros mais aussi le mouvement perpétuel de ce retour du refoulé. Le pano à 360°, plutôt rare, est également une idée de génie pour signifier l'inutilité de la fuite de l'héroïne, le fait qu'elle tourne en rond. La photo, absolument sublime, situe le film entre Jacques Tourneur et Sofia Coppola, entre le hors-champ en clair-obscur (comme le début de la scène de la piscine, référence évidente à La Féline) et la mise en scène du pseudo-confort de la chambre adolescente.
Et bien évidemment, comment ne pas parler de la musique de Disasterpeace? Elle plonge le film dans une mélancolie années 80 - 8 bits (le compositeur a fait la musique du jeu rétro Fez) qui fait indéniablement penser aux musiques de John Carpenter, et convoque une terreur diffuse permettant de faire en sorte que le film stagne entre horreur et thriller.
Bref, avec Mister Babadook l'an dernier, on tient là notre nouvelle génération de cinéastes du fantastique postmoderne / psychanalytique, et on n'attend qu'une chose: encore!