-Un film d'auteur du Palestinien Elia Suleiman. Une espèce de mélange entre Tati Kitano Moullet et Godard. C'est fou ce qu'on peut faire avec un simple champ/contre-champ, quand on n'est pas complètement stupide, et puis, ça doit être un des rares cinéastes contemporains capable de filmer un SDF sans faire un caca nerveux sur la politique et sur la nécessité de s'engager politiquement (et sexuellement) coûte que coûte dans la société et sans basculer dans un discours de gauche plus ennuyeux que bien des sermons de curés. Enfin un cinéaste qui a compris que Tati est 100000 fois plus intelligent qu'Eustache. C'est plutôt rare quand même dans le genre.
-Tout comme j'ai dit que Viendra le feu est Sicilia version 2019. Ce It must be heaven est disons Prénom Carmen version 2019. Dans Prénom Carmen, Godard se filme lui même avec autodérision, et il parle aussi; dans le film de Suleiman, le cinéaste se filme avec autodérision, mais la "nouveauté" artistique pour ainsi dire, est qu'il ne parle pas : C'est de très bon goût car si jamais Suleiman avait parlé, le film aurait été terriblement prétentieux, il aurait été fichu à l'eau, et il n'aurait eu aucune valeur artistique (je n'aurais pas hésité alors à lui coller gentiment un petit 1/10, vite fait bien fait), mais le cinéaste connait les limites de l'art. Il sait qu'il doit se contredire pour être bon, donc, il peut se filmer soi-même, mais à condition de se taire, (puisque Godard s'est déjà filmé dans un film d'auteur entrain de parler il ne faut surtout pas répéter ça c'est foutu c'est fini ça a été déjà fait et donc de fait ça ne sert plus à rien il faut inventer un truc neuf). Il est modeste, il n'hésite pas à créer une contradiction tranchante brutale et visible tout de suite, il se jette à l'eau tout en étant très propre, et c'est cette modestie profonde qui donne au film toute sa valeur.
-Le contraire du gentil Palestinien Suleiman ? Evidemment, le "méchant" israelien Lapid, qui lui fait des films assez exécrables tandis que Suleiman fait des films qui font avancer notre pensée dans le bon sens.
-Le film est très aéré, léger, calme, ordonné, il respire magnifiquement, et il prouve qu'un film (d'auteur ou autre) est d'abord et avant tout une simple construction de l'esprit, donc, de fait, c'est forcément kitsch. Il s'agit donc savoir, pour juger un film, si c'est du bon kitsch ou si c'est du mauvais kitsch, et ce It Must Be Heaven est plutôt du très très très bon kitsch. Le film a même réussi, tiens, très étonnamment, à m'émouvoir jusqu'à pleurer un peu à la scène finale, pendant qu'Elia Suleiman sirote tranquillement son verre en regardant des jeunes danser dans une boîte sur une chanson dansante qui répète "Je suis arabe" en refrain. Et c'est là qu'on se rend compte à quel point un film peut être émouvant quand il est très très très pudique et quand il ne parle surtout pas d'émotion. Par paradoxe, ou, plutôt, par contraste !!! Tout est contraste, tout !