Après avoir été un étudiant naïf dans Opération Y et autres aventures de Chourik, un ethnologue naïf dans La Prisonnière du Caucase ou les Nouvelles Aventures de Chourik, Chourik, toujours joué par Alexandre Demianenko, prend du galon et un peu d’assurance, le voici savant fou. Il achève la mise au point d’une machine à remonter le temps. Passionné par Ivan IV – le célèbre tableau de Ilia Répine orne sa chambre – il teste sa création sur ses voisins, propulsant le timoré et timide retraité Ivan Vassilievitch Bounch et l’escroc Georges dans le palais d’Ivan le Terrible. Ce faisant, le tsar opère le chemin inverse. Or, Bounch s’avère le sosie du tyran ! Une situation qui engendrera une succession de quiproquos loufoques... Je vous arrête, Leonid Gaïdaï n’a pas repris le pitch des Visiteurs. S’il y a plagiat, il est à chercher chez les Français, les aventures de Jacquouille et de cousin Hub ne paraissant que 20 ans après celles du brave Chourik. Le scénario est d’ailleurs tiré d’une pièce de Mikhaïl Boulgakov.
Ivan IV dit Le Terrible (1530-1584) est l’une des figures majeures de l’imaginaire russe, un mélange de Charles VII, de Louis XIV et d’Henri VIII. Avant-dernier souverain de la dynastie moskovite des Rurikides (862-1598), il est le premier à se proclamer tsar. Personnage complexe, ce souverain responsable et pieux se croit investi d’une mission divine, mais doit composer avec un psychisme fragile. Il alterne mortelles colères et périodes dépressives. Humilié enfant, il exècre les puissants boyards, les piliers de son pouvoir féodal. Marié huit fois, il renvoie trois femmes et en fait noyer une quatrième, pour défaut de virginité. Trop de guerres ruinent la Russie, qu’il a notablement agrandi. De son sceptre, il frappe mortellement son héritier Ivan Ivanovitch. Le plus célèbre des tableaux russes, peint par Répine, représente la scène. Ivan est effondré, ployant sous le poids de son fils agonisant et crucifié par la culpabilité. Le tyran cruel, mais dévoué à sa tâche, pouvait apparaître comme un précurseur de Staline, en plus soft.
Chourik n’anime que le premier tiers du film, pour céder ensuite la vedette aux deux Ivan, interprétés par l’excellent Youri Yakovlev, l’inoubliable extraterrestre de Kin-dza-dza ! Il apparaît que, stimulé par le malhonnête Georges, le timide Ivan prend goût au pouvoir absolu. Il boit, drague, déclare des guerres et négocie avec les ambassadeurs ennemis. Hélas, son manque de cruauté a tôt fait de le trahir et l’armée se mutine. Plus difficile est la situation du tsar qui peine à imposer son autorité sur les matérialistes et affairistes communistes. Il semble condamné, au mieux, à interpréter son rôle au cinéma, au pire, à finir dans un asile psychiatrique.
Sur un rythme effréné, Gaïdaï enchaine les gags, plus ou moins absurdes. On chante, on crie, on grimace, on court en accéléré, on tombe. Il s’appuie sur de parfaits seconds rôles, la jolie et peu farouche épouse, le producteur de cinéma pervers et un fabuleux mime de l’ambassadeur suédois. Le film connur un immense succès, attirant plus de 60 millions de spectateurs en 1973. Il mérite le voyage.