Ixcanul, "volcan" en langue maya, celle qui est parlée durant tout le film de ce réalisateur guatémaltèque. Pourtant, aucun Haroun Tazieff à l'horizon. On guette en vain, durant tout l'opus, une éruption qui ne viendra pas. En apparence.
En effet, on suit les évolutions d'une poignée de villageois, et plus précisément d'une famille, sur les pentes pulvérulentes et noires du volcan qui abrite autant qu'il menace ces personnages. Divinité tellurique et sombre qui tolère que des humains se meuvent sur les longs plis de sa jupe, travaillent à la culture du café, se fassent mordre de temps à autre par les fulgurants serpents venimeux qui semblent être les occupants les plus légitimes et les moins délogeables de son sol... Les bipèdes qui vivent là peuvent même tenter de nouer les liens d'un mariage, se faire engrosser plus ou moins légitimement, caresser des désirs d'ailleurs, d'autre côté du volcan... Seules les divinités sombres priées parfois par les paysans décideront du succès ou de l'échec de ces entreprises humaines.
Mais Ixcanul ne nous permet pas, à nous, visionneurs occidentaux, de recevoir ces événements selon nos propres codes. Ce récit filmique glisse sur le visage impassible de son héroïne à la manière des serpents sur le sol, sans déplacer un brin d'herbe, un trait. Prise elle-même dans l'autorité d'une mère qui ordonne les événements à la manière d'une forte femme, cette héroïne, Maria, sur le visage de qui s'ouvre le film, reçoit les différents épisodes de son existence sans en paraître affectée : elle acquiesce à un mariage arrangé, approche un autre homme que celui qui lui est promis, s'offre à lui, se découvre enceinte - "portant la lumière en elle", selon la jolie expression de la langue maya -, mesure les dégâts causés par cette grossesse, propose de tirer parti de son état magique pour tenter d'éloigner les serpents, se fait mordre par l'un de ces reptiles puis emporter de toute urgence, inconsciente, vers la grande ville qui saura neutraliser les effets du venin, sans que son visage se départisse de son expression d'idole, de masque d'or maya. Seule la perte de son bébé la fera entrer en transe, balayer tous les interdits et faire apparaître au grand jour la vulnérabilité des Indiens de son peuple et les abus inimaginables permis par les jeux de la traduction et la duplicité de ceux qui se proposent comme intermédiaires entre les langues maya et espagnole.
Jayro Bustamante, réalisateur de cette première œuvre filmique, nous permet d'accéder à cette formidable et apparente passivité de ces matriochkas guatémaltèques enchâssées l'une dans l'autre, jusqu'à la grande figure plissée du volcan ; mais il nous donne aussi à percevoir la non moins formidable vibration de la lave qui les anime et les pousse, quels que soient les obstacles, vers l'accomplissement de leur destin.