Pour aller droit au but, car J'accuse me semble être d'un académisme étonnamment efficace et donc relativement peu compliqué à analyser, et d'autres l'ont déjà très bien fait ici-même, j'aimerais soulever un ou deux points particuliers.
Ce sont ces décors intérieurs, le bois des meubles (ça rendrait presque passéiste de comparer ces superbes meubles avec nos intérieurs fonctionnels mais si laids qui nous sont contemporains), le papier des lettres, cette poussière, cette lumière qui traverse la pièce qui est d'une élégance rare, c'est cela qui m'a peut-être le plus fasciné dans ce film. A force de voir Dujardin caresser ces lettres, j'avais l'impression de moi-même les tenir entre les mains. Certains diront que ce sont des détails, que ça ne fait pas tout, et bien je leur répond que non, ce sont ces simples choses qui nous accrochent à un film, qui nous donnent envie de l'aimer et de laisser de côté ses défauts pourtant parfois évidents.
Les défauts de J'accuse, ce sont peut-être ces transitions que j'ai trouvé maladroites en début de film. Un début de film d'ailleurs qui traîne un peu de la patte, c'est surtout avec la seconde partie du film qui bascule complètement du côté du thriller historique que ce dernier prend son envol. C'est peut-être aussi ces extérieurs qui m'ont eu l'air numériques donc franchement peu crédibles, qui donnent lieu à un malheureux contraste avec la grande qualité des intérieurs. C'est peut-être aussi cette histoire d'amour dispensable dont l'ont voit venir le caractère fonctionnel à un certain nombre de kilomètres...
Et pourtant, J'accuse est redoutable d'efficacité. Il est peu original, il va là où on l'attend, mais il le fait terriblement bien. Puis, vous savez, les grandes scènes à base de grands discours et de grandes indignations devant un tribunal, ça m’émoustille et je suis certain que je ne suis pas le seul ici (pour les excités comme moi du tragique de l'injustice, il faut voir le classique La Vérité si vous ne l'avez jamais regardé...). Garrel est d'ailleurs formidable dans son rôle, il faut ici noter le travail sur le maquillage et la coiffure, son visage dégage déjà quelque chose d'extrêmement fort dans ce film. On en revient encore à l'esthétique du film qui est d'une très grande classe, les costumes sont impeccables, on a envie de toucher ces espèces de cordes (ce sont bien des sortes de cordes, non?) qui pendent à leur costume de militaire... un uniforme qui cache pour la plupart un être uni-forme comme dirait l'autre con de Nietzsche... C'est ce duel à l'épée qui se fait sans musique, c'est la modestie d'une réalisation dont le cadrage, la lumière et les décors suffisent à convoquer une esthétique à l'allure certaine.
A ce propos, je découvre Grégory Gadebois avec ce film et je l'ai adoré, son flegme imperturbable est fascinant dès le début du film, son personnage est excellent. En fait, la plupart des personnages sont joués avec une intensité très forte, ils sont parfaitement incarnés et cela sans que leur jeu soit lourd, caricatural ou désuet. D'ailleurs, tous ces dialogues et ces jeux d'acteurs sont particulièrement fluides malgré le développement de l'intrigue qui, je trouve, allonge beaucoup le film, le temps est assez long malgré la grande fluidité du métrage, c'est assez paradoxale ce que je dis là mais vous voyez peut-être où je veux en venir.
Enfin, disons que j'aurais pu insérer entre les paragraphes de ce semblant de critique des citations de certaines des nombreuses fulgurances des dialogues, j'aurais pu... Des phrases percutantes, bien placées, bien construites, bien dites, il y en a pour tous les goûts, et cela sans que ça soit trop lourd, c'était nécessaire et attendu dans un film dont un des thèmes est l'injustice... On aurait pu aussi parler de l'antisémitisme, mais ça aurait été enfoncer des portes ouvertes, laissons ça à d'autres et concluons enfin cette critique.