L'antisémitisme fût la règle...

En voulant illustrer l'affaire Dreyfus, Roman Polanski s'attelle à à un morceau d’histoire contemporaine qui trouve son écho à l'heure actuelle. Certes, le brasier antisémite qui avait sévi à l'époque s'est éteint depuis mais quelques braises tenaces subsistent et le moindre souffle de haine peut ranimer les flammes qui ne demandent qu'à dévorer les consciences.


Le film débute par la cérémonie militaire qui déchoit le capitaine Dreyfus de son grade. La violence symbolique de la scène est intense et le spectateur est saisi d'émotion dès l'entame du récit. Ce qui frappe également, c'est la reconstitution minutieuse à laquelle s'est livré le réalisateur. Son souci du détail emporte le spectateur dans une fin de XIXème siècle saisissante de réalisme. Alfred Dreyfus condamné à l'emprisonnement sur l'île du Diable, c'est sur les pas du commandant Picquart, formidablement campé par Jean Dujardin, que la caméra va effectuer son témoignage. En effet, l'oeuvre présentée ici se veut historique et, à en croire les spécialistes de l'époque, se révèle fidèle, à quelques détails près, à ce qui s'est passé en cette fin de XIXème où l’antisémitisme représentait la norme sociale.


Ce genre de film possède le mérite de rappeler à celles et ceux qui l'oublient trop souvent que l'air du temps est variable selon l'époque. A ce moment-là, en dépit que quelques consciences progressistes, la majorité de la population voyait dans les juifs ce qu'en disaient les journaux de l'époque dans de multiples caricatures : des gens au nez crochu possédant l'argent, œuvrant dans l'ombre et qui se trouvaient être la source de tous les maux. Des bouc émissaires parfaits depuis des siècles que les puissants brandissaient comme des épouvantails bien commodes.


L'armée n'étant pas en reste, elle va trouver dans ce capitaine de confession juive un coupable idéal dans sa traque de traître, quitte à faire preuve d'une cécité criminelle. Si le commandant Picquart n'est pas un fervent adepte des juifs, il est en revanche un militaire dont la droiture morale se veut exemplaire. A cet égard, il va vouloir faire jaillir la vérité, ce que ses supérieurs ne vont pas lui pardonner. La Grande Muette porte à l'époque bien son sobriquet. Elle ne veut à aucun prix reconnaître son erreur et s'enferre dans ses mensonges. La plume d'un des plus illustres écrivains de cette époque va sonner le glas de cette mascarade dans son célèbre J'accuse, même s'il aura fallu des années de bataille juridique pour que ce soit réhabilité l'homme dont l'honneur à été bafoué.


Illustration puissante d'un fait judiciaire emblématique de notre histoire, le film explore également le renseignement français, dont l'efficacité reste à améliorer mais demeure passionnant. Il visite aussi une époque où bien des faits étaient lus via le prisme de l'antisémitisme, corrompant fatalement l'objectivité des juges et des consciences. On sait ce que ça a donné quelques décennies plus tard dans un pays voisin sous la férule d'un orateur despotique.


Roman Polanski livre là, avec le talent de cinéaste qu'on lui connaît et une pléiade d'interprètes de grande qualité, une oeuvre historique qui fera date. Ce genre de piqûre de rappel est essentielle car la mémoire collective à tôt fait d'oublier son passé pour renouveler ses erreurs.

Apostille
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2019

Créée

le 23 nov. 2019

Critique lue 306 fois

3 j'aime

Apostille

Écrit par

Critique lue 306 fois

3

D'autres avis sur J'accuse

J'accuse
Sergent_Pepper
8

Cadres et supérieurs

L’académisme est rarement un attribut flatteur : si l’on y reconnait un certain savoir-faire, une solide culture des codes et, dans le cas présent, un sens aigu de la reconstitution historique, le...

le 17 nov. 2019

105 j'aime

18

J'accuse
helldraco
1

Moi aussi j'accuse: la lâcheté de l'homme, la complicité des médias, l'indignation séléctive d'un pu

Par principe c'est 1, c'est indéfendable. Se servir de la chasse aux juifs pour se poser en victime d'une cabale tendance anti juif, c'est à gerber comme weinstein qui se servait de la chasse aux...

le 10 nov. 2019

98 j'aime

2

J'accuse
JasonMoraw
8

Le bal des menteurs

En dépit du Lion d’argent remporté à la Mostra de Venise et du César du meilleur Réalisateur, le dernier film de Roman Polanski ne manque pas de susciter des conflits abscons : complicité de viol au...

le 19 mars 2020

51 j'aime

11

Du même critique

2001 : L'Odyssée de l'espace
Apostille
5

Vide dans l'espace et trou noir artistique...

J'avais depuis bien longtemps entendu parler de ce film devenu culte. Pourtant amateur de science-fiction, je n'avais jamais eu l'occasion de le regarder. C'est chose faite depuis ce soir. Le moins...

le 19 avr. 2014

87 j'aime

13

Les Garçons et Guillaume, à table !
Apostille
9

Guill'âme à nu...

Guillaume Gallienne est un acteur que j'apprécie beaucoup. Sa sensibilité à fleur de peau et la justesse des courtes interprétations, masculines ou féminines, qu'il livrait dans sa rubrique sur Canal...

le 26 nov. 2013

65 j'aime

10