J'ai eu l'incroyable chance de voir ce J'accuse d'Abel Gance ce lundi soir au cinéma dans sa version "auto-remakée" de 1938, en ciné-concert et donc accompagné en direct (et improvisée !) par un pianiste. Autant dire que sur 2h45 d'affilée, faut le faire.
Et il apparaît sans nul doute que J'accuse est un des meilleurs films sur la première guerre mondiale, que des films plus récents ont bien sûr pu magnifier (si l'on peut dire) techniquement depuis, mais qui garde une beauté visuelle et lyrique rare. Le film relate le destin de deux hommes et d'une femme au cours donc de la première guerre mondiale sous trois époques différentes, ne se découpant pas comme dans Voyage au bout de l'enfer entre l'avant-guerre, la guerre et l'après-guerre, mais effectuant plusieurs allers et retours entre la vie au village et sur le front, aux grès des désirs des personnages.
Ici, Abel Gance "accuse" tant les les horreurs et injustices de la guerre, que ses profiteurs qui s'enrichissent sur le dos des soldats comme de ceux qui sont restés seul(e)s, abandonnés ou participant à l'effort de guerre. Le film est ainsi un puissant pamphlet contre la guerre, mais n'en garde pas moins un certain recul lui permettant de faire de l'humour et surtout d'introduire une histoire de triangle amoureux au centre du récit. Encore plus fort, même étant donné l'époque jamais le film ne dénonce les ennemis (enfin presque) et préfère se concentrer sur les effets de la guerre sur l'humain.
Ses effets, ils sont la rivalité, la réconciliation, l'épuisement, la maladie, la nostalgie, le courage, la folie. Quel film, même aujourd'hui, traite avec égalité de la souffrance des hommes comme des femmes lors de cette période ? En effet, malgré un postulat de départ usant d'archétypes usés depuis qui aurait pu faire craindre un traitement cliché, les personnages se révèlent peu à peu profondément humains, meurtris mais qui cherchent une certaine forme de bonheur, ou du moins de paix. Un des plus beaux moments pour moi est celui où Jean et François, plutôt que s'affronter violemment au front pour l'amour d'Edith, préfèrent se rappeler cet amour ensemble, peu importe pour lequel des deux il était destiné. Le film en comporte bien sûr d'autres, souvent émouvants sans pour autant trop jouer sur l'aspect tragique des situations, ou d'un lyrisme poétique des mots tantôt recherchés (les extraits de poètes pacifistes ou romantiques), tantôt simples dans leur justesse (le titre même du film écrit à plusieurs reprises).
Un beau film sur la guerre donc, mais aussi un beau portrait d'humanité, dans sa folie la plus triste comme dans sa bonté la plus émouvante.
Veuillez agréer, monsieur Abel Gance, l’assurance de mon profond respect.