J'ai lu le roman il y a 5 ans, ai acheté l'album l'année dernière, j'attendais donc de pied ferme son adaptation sur grand écran. L'histoire m'avait séduite, non seulement pour son côté allégorique plaisant, sa maturité, sa poésie, mais aussi pour toutes les images qu'il réussissait à produire dans ma petite caboche d'enfant. De fait, j'ai vu le film comme l'aboutissement de ce projet ambitieux qui réunit trois arts différents mais si complémentaires : la littérature, la musique et le cinéma. En réalité, on pourrait considérer que le livre pose l'intrigue, l'univers, sert de base. L'album vient apporter la musicalité déjà transmise par les mots, et offre une voix aux personnages. Le film serait la finalité, celle qui fait vivre ces adorables êtres de papiers, leur donne une consistance, une apparence. Pourtant, chaque partie de ce projet garde ses particularités. Le film gomme par exemple le côté plus adulte et sombre du roman, ce qui est naturel. Il rend en revanche plus présent le thème de l'enfance.
De fait, le film peut convenir à tous les publics, et les toucher à part égale. L'histoire, bien que simplifiée, conserve mille facettes. La trouvaille même de l’horloge cœur permet d’explorer mille pistes et d’aborder des thèmes aussi essentiels que l’amour, le chagrin, le temps qui passe … L'histoire est plaisante et intelligente, les scènes s’enchaînent dans la fluidité, et un véritable univers est créé, comme s'il avait existé quelque part en chacun, comme s'il avait seulement eu besoin de l'imagination de son créateur pour nous apparaître dans sa simplicité touchante. Un très bon point : rarement j’ai autant aimé la façon dont est traité le thème de l’enfance, un de ceux qui me tiennent le plus à cœur. Ici, elle est sombre, dure, blessée, depuis le jour ou la première mère abandonne son enfant jusqu’au déchirement ultime, la mort de la mère adoptive, en passant par ces tortures de cour d’école que tous les timides ont du vivre. Le retour à la maison d’enfance de Jack au cœur brisé, à la fin, ce qu’il y trouve, et les dix dernières minutes du film, sont amères et magnifiques. Ce que j’ai trouvé très fort également, c’est que le récit a deux couches, la première étant l’histoire de base, et l’autre une sorte de plongée dans les sentiments de Jack. Par cette explosion de minis-Miss Acacia, ou par toute autre forme disproportionnée que Jack imagine, on se prend à ressentir les mêmes palpitements de cœur que le tout jeune amoureux. Montrer l’invisible, l’intériorité, les sentiments d’un personnage par le dessin, le mouvement, est ici particulièrement réussi. Les dessins sont aussi mignons que leurs personnages, magiquement animés d’un souffle humain, malgré le fait qu’ils soient tous un peu cassés par la vie, un peu frêles : un cœur-horloge, une fille qui se cogne partout, une femme seule, un homme a la colonne vertébrale-xylophone ...
Comme chez les personnages, c’est tout le film qui sent l’humain à plein nez. L’humain sans trucage, humble, simple. Qui d’autre aurait pu imaginer une histoire aussi pure, porter un regard si tendre sur les personnages, que le génial Mathias Malzieu et tous ses collaborateurs ? On sent derrière chaque personnage un petit bout des artistes qui prêtent leurs voix à ces charmantes créatures. On sent aussi cette volonté touchante d’intégrer les spectateurs dans leur projet, de les faire monter dans leur train. En plus de nous convier à ce festin de couleurs et de poésie, les inspirations sont assumées et ne manquent pas d’être citées. Le film est une histoire d’amour entre deux rêveurs, mais aussi une déclaration passionnée au cinéma, qui réconforte, qui fait voyager, qui règle les soucis, en somme, qui est vie. Double émotion donc, pour ce bel hommage au 7ème art, et ce projet nouveau, frais, profondément touchant et beau. On ressort avec le cœur léger, si léger d’avoir été réparé pendant cette petite heure et demie.