J'ai vu La Vie d'Adèle hier, il m'a fallu 1 nuit pour reprendre mes esprits, 2 jours pour arriver à peu près à me positionner par rapport au film, et surement des années encore à le côtoyer pour en saisir tous les aspects ...
Cette critique est donc valable aujourd'hui seulement, je sens que mon avis va encore évoluer mais qu'à cela ne tienne, je me jette dans cet exercice d'écriture qui va peut-être m'aider à y voir un peu plus clair. Aujourd'hui seulement, lendemain de la sortie nationale d'un film qui va faire parler de lui longtemps et que j'attendais depuis longtemps.
Entrée dans la salle obscure à 17h30 on en ressortira 3 heures plus tard. C'est long 3 heures, surtout quand certaines scènes durent 10 minutes. Mais 3 heures, c'est bien le temps qu'il nous faut pour considérer qu'avec Adèle, on commence à se connaître. En tout cas, nous, on la connait : les plans archi-resserrés (je me suis découverte une claustrophobie cinématographique sérieuse ...) nous font entrevoir tous les moindres détails du visage de la jeune femme, ses yeux de biche, sa moue adorable, sa bouche en cœur, mais aussi jusqu'à l'état des aliments qu'elle mastique ou de ce fil de bave qui coule quand elle dort, le genre de détails dont on se serrait allègrement passés mais qui nous font dire : Adèle, on la connait. On la voit grandir, franchir des étapes cruciales, évoluer sous l'angle de deux motifs récurrents : l'éducation (scolaire, sexuelle, sentimentale, celle que l'on reçoit, celle que l'on donne, celle qui dit-elle lui a tant apporté) et l'art (Emma est peintre, elle essaie de saisir les traits de sa muse, tout comme Kechiche celle de son actrice). Ces deux thèmes, c'est ce qui fait que l'histoire d'amour est rendue plus profonde et unique, c'est en tout cas ceux qui m'ont guidé et ne m'ont pas fait penser qu'il n'y a rien d'original dans cette énième histoire d'amour. Il fait nuit quand je sors de la salle, j'ai l'impression d'y avoir passé des semaines, et j'essaie de rester digne malgré mes yeux rouges d'avoir pleuré ce vide que laisse la fille aux cheveux bleus.
Malgré tout ces points positifs, j'ai ressenti au premier abord des réticences. L'ultra-naturel a été le principal motif, ma question étant simple : pourquoi chercher à ce point le réalisme ? Les dialogues plus ou moins banaux, ils sont vraiment utiles ? Les longues et répétées scènes de sexe, sont-elles bien nécessaires ?
C'est après une nuit pour laisser mijoter tout ça, et une journée à être hantée, vraiment hantée par le visage des personnages que j'ai commencé à trouver des réponses. Alors que j'étais indécise à ma sortie du ciné, le film a continué à me coller aux bottes toute la journée. Mmh bizaaaarre, aurais-je tant aimé que ça ? Il se pourrait bien ... que oui ! C'est cette présence permanente du visage des personnages dans ma journée qui m'a fait penser que ces gros plans permanents, en plus de me donner la nausée, avaient jeté sur moi un sort à retardement. Et cet ultra-réalisme qui m'a agacé sur le coup a surement aussi participé à cette étrangeté, au fait que j'ai l'impression d'avoir vu hier une très bonne amie qui me manque déjà. Quant aux scènes de sexe qui me paraissaient gratuites hier, j'en comprends l'utilité aujourd'hui : elles sont le reflet d'une partie de la Vie d'Adèle, pas de raison donc de les oublier (même si 8 minutes, c'est vrai, je trouve ça un peu excessif ...). J'ai adoré ce film à vrai dire, mais il m'a fallu du temps pour le comprendre. Cette façon de capter le désir, ses tensions, et tous les ravages qu'il provoque, à ce moment de ma vie, à cet âge, c'est assez bouleversant pour tout vous dire.
Mais une question persiste, et c'est en cela aussi que le film m'intéresse, car il propose une conception du cinéma qui remet en cause la nature même du cinéma : jusqu'où faut-il/peut-on/doit-on aller pour réussir à capter le naturel désiré par Kechiche ? Oui car j'ai oublié de le signaler avant mais je crois que ça va de soi : quelle performance de ces deux magnifiques actrices, mai alors quelle performance ! Quelles méthodes sont autorisées pour réussir à capter cette essence ? Kechiche a filmé Adèle Exarchopoulos sur le tournage, quand elle mangeait, dormait, et même vomissait (!!!), et qu'est-ce qui ne dit pas (ça a été avéré d'ailleurs) que Kechiche n'ait pas utilisé ces images ? Ce ne sera qu'un pas par rapport à cette démarche du réalisateur. Là, excusez moi l'image, mais il surfe quand même dangereusement aux limites du réel et de la fiction ! Jusqu'où pousser le parallèle entre l'actrice et le personnage ? Il ne s'arrête pas au prénom commun des deux femmes, ni à leur physique, loin de là. Et jusqu'où demander l'engagement des actrices ? Certaines scènes ont engagées dans leur contenu même les actrices en tant que personnes, pas seulement leur compétence de jeu purement fictionnel, leur être a été impliqué aussi. C'est un débat riche, largement alimenté par ces fameuses polémiques, que le film soulève. On ne va pas le lui reprocher, c'est ce qui lui donne l'air si vrai, c'est ce qui nous donne l'impression d'être l'intime des personnages, de les côtoyer personnellement. Mais cette limite floutée entre fiction et réalité, bien que proposant au spectateur une expérience unique et troublante, me parait dangereuse à manier et mérité qu'on s'y interroge.
Je serai intéressée de savoir comment chaque spectateur a vécu cela, alors n'hésitez donc pas à dialoguer, questionner, ce sera avec plaisir. Les films qui me plaisent à ce point sont aussi ceux qui me donnent l'envie de débattre.