Encore sous le choc de la Palme d'or 1994, les fans de Quentin Tarantino avaient accueilli froidement son nouvel opus (moi le premier), cherchant vainement une folie furieuse, un style percutant, une ultra-violence stylisée qu'ils ne trouveront pas dans une oeuvre où ces éléments n'ont tout simplement pas leur place, mais proposant bien d'autres choses, tout aussi précieuses.
Adaptant l'univers à la fois noir et décontracté d'Elmore Leonard, Tarantino va, le temps d'un seul et unique film, laisser de côté son style clinquant et reconnaissable entre tous, ainsi que ses références à outrance qui plomberont quelque peu la suite de sa filmographie, pour une approche plus posée faite de longs plans fixes, afin de mieux rendre justice à une intrigue simple mais efficace qu'il imagine avant tout comme un gigantesque hommage à la blaxploitation, ressuscitant pour l'occasion sa plus illustre représentante, la superbe Pam Grier, lui offrant ainsi son plus beau rôle.
L'interprète de la mythique Foxy Brown est au coeur de ce qui s'avère d'avantage être une histoire d'amour qu'un énième film de gangster, rencontre touchante entre deux êtres fatigués mais loin d'être encore enterrés, l'excellent Robert Forster incarnant un prétendant à la force tranquille absolument désarmante, à l'image du regard énamouré qu'il porte envers l'héroïne. A leurs côtés navigue une galerie de personnages aussi cupides que décalés, incarnés par un casting royal allant de Samuel L. Jackson à Michael Keaton en passant par Bridget Fonda et un Robert DeNiro à la bonhommie irrésistible.
Opus mal-aimé d'un cinéaste devenu une superstar, "Jackie Brown" est effectivement bourré d'imperfections, à commencer par un manque évident de délire et par un rythme neurasthénique, mais dénué d'une quelconque prétention et renfermant un coeur gros comme ça, l'égo de Tarantino s'effaçant pendant un temps, laissant enfin transparaître un semblant d'émotion.