Jacquot de Nantes est un film assez particulier puisque réalisé par la femme de Demy (Agnès Varda), écrit par Demy, sur Demy et réalisé après la mort de Demy. Donc forcément ça allait être un hommage puissant... Mais on évite quand même l'hagiographie, ce qui aurait pu être un peu gênant. Forcément Jacquot est présenté quand même sous un beau jour quoiqu'il fasse et j'avoue préférer les films où on montre à quel point les gosses sont des gosses, à savoir des sales gosses qui font des conneries, plutôt que les films où on les montre un peu comme des anges.


Le film montre donc l'enfance de Jacques Demy à Nantes à trois périodes différentes, avant la guerre, pendant la guerre et après la guerre. On le voit grandir, mais surtout on voit naître son goût pour le cinéma, on voit ses influences, on voit les événements de sa vie qui l'ont inspiré pour faire des films et ça franchement c'est juste génial... Parce que savoir que dans les parapluies de Cherbourg, lorsque Deneuve enceinte rentre chez sa mère en disant qu'elle déteste le carnaval, vient en fait d'une vraie fille que Demy a connu et dont il était sans doute un peu amoureux, qui était enceinte et qui disait ne pas aimer le carnaval, ça ne sert à rien pour apprécier le film, mais c'est un écho formidable entre la vie de Demy et le cinéma.


Et le film est truffé de références de la sorte. Varda insère donc dans son film, des extraits des films de Demy qui font écho à la vie de son mari décédé qu'elle recrée de toute pièce. Demy avait un père garagiste, comme Guy dans Les parapluies de Cherbourg... Son père est arrivé à Nantes et vivant chez l'ancienne femme alcoolique d'un Colonel... Comme dans une Chambre en ville...


Je savais qu'il y avait des échos entre la vie de Demy et son cinéma, une série d'émissions sur France Culture lui était consacré, mais je ne savais pas qu'il y en avait autant. D'ailleurs c'est toujours un immense plaisir de revoir des extraits d'une Chambre en ville et des Parapluies de Cherbourg.


D'ailleurs on peut noter que le film commence par le générique de fin, peut-être un clin d’œil aux parapluies dont la première phrase était « c'est terminé ». Il me semble que Varda fait dire à son Jacquot des phrases des personnages des films de Demy, à moins que ça ne soit l'inverse...


Plus qu'un simple biopic, c'est réellement des allers-retours constants entre la vie de Demy et son cinéma, entre extraits de films et reconstitution... Et quelle reconstitution ! Si comme je l'ai dit c'est sans doute un peu trop gentil pour moi, ça reste néanmoins passionnant à suivre. Clairement Varda ne s'est pas juste contenté de faire un film fonctionnel pour raconter la vie de son mari, elle a fait du cinéma, une véritable œuvre, belle et touchante.


D'ailleurs difficile de ne pas se reconnaître dans le personnage de Jacquot, notamment avec son goût pour l'animation... avec ses décors en carton... Je me revoyais à vingt ans en faisant du stop motion (bon lui était plus jeune).


Mais surtout, on a quelques commentaires de Demy lui-même, Varda le filme amoureusement... filme sa peau, son visage avec énormément de tendresse, ce qui donne à ce film d'adieu tout son côté tragique. Parce qu'en fait on voit Demy quelques temps avant sa mort en même temps qu'on le voit naître... Ce jeune gamin qu'on suit depuis ses huit ans finira par mourir, comme nous tous... et assez jeune en plus...


Il y a un côté tragique qui fonctionne vraiment bien.


D'ailleurs c'est l'un des rares films français que j'ai vu où l'on évoque (à demi mot) les morts faits par les alliés durant la seconde guerre mondiale, comment ils ont bombardé Nantes, comment ils ont tué des civils... Disons que ça permet de mieux comprendre ce qu'il disait dans La table tournante, un film qui m'avait passablement agacé, où il expliquait de manière lapidaire que la guerre c'était mal... ce qui avait eu le don de prodigieusement me faire lever les yeux au ciel devant tant de manichéisme.


Bref, le film est un éclairage prodigieux sur la filmographie et la vie de Demy, tout en étant bien plus qu'un documentaire ou une analyse d’œuvre, puisque le sujet du film est avant tout la vie (et le cinéma).

Moizi
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le 30 juin 2018

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