Avec Jacquot de Nantes, Agnès Varda fait une déclaration d'amour à Jacques Demy, l'homme qui a partagé sa vie et une même passion du cinéma ; un Demy alors très malade et condamné qui devait mourir quelques jours à peine après la fin du tournage.
Varda fait un film qui lui ressemble, un mélange très personnel de fiction, d'extraits de films de Jacques Demy, de moment d'interview contemporaine du cinéaste et même d'une série de plans très serrés figeant sur la pellicule - et pour la dernière fois - la peau, les cheveux, les rides, les yeux de l'immortel réalisateur des Demoiselles de Rochefort. Ces magnifiques plans où la peau, marquée, et les cheveux blancs,ressemblent tour à tour à un tableau ou un paysage, trahissent une tendresse infinie de la part de celle qui les filment. Ils donnent une touche mélancolique à un film qui met en scène - dans sa large partie fictionnelle - l'enfance même de ce vieillard en devenir, celle qui a vu son amour du cinéma naitre pendant la guerre et qui lui a fait réaliser très jeune des films d'animation image par image (moment enchanté du film...les premiers Demy !).
Dans Jacquot de Nantes, Varda jette une autre passerelle : elle illustre certaines parties biographiques, parfois juste une image ou un fait anecdotique, d'extraits de films du futur Demy cinéaste ; petit jeu cinéphilique qui s'amuse à chercher les sources de l'inspiration du cinéaste dans son enfance et son quotidien.
Né en 1931 dans un milieu modeste où le père est garagiste, Jacques Demy vit la période la guerre, conscient des horreurs qui s'y déroule (il parle face caméra de la nuit du 7 septembre 1943, nuit de bombardement et de sa vision de corps décharnés) ; pourtant le film est plutôt gai dans sa description - y compris par les chansons qui font partie intégrante de la vie d'alors et dont l'influence a sans doute infusé dans son cinéma souvent chanté. Tout est ici question de regard et le jeune Demy, très jeune, s'intéresse au monde du spectacle qui lui permet de fuir le quotidien. Le film s'offre une petite coquetterie formelle finalement signifiante : au noir et blanc presque réglementaire qui marque le temps passé, s'ajoutent des plans en couleur ; en fait, tout ce qui sort Demy de son quotidien et qui titille son imaginaire : le théâtre de Guignol, les Opérettes, les affiches de cinéma, le carnaval mais aussi la chambre de la jolie voisine (dont il doit être amoureux), la tante fantasque qui a fait fortune (et qui est vu comme un spectacle ambulant par Jacquot), plus étonnant encore, la découverte du cadavre de la voisine (qui devient dès lors un spectacle pour le curieux de tout qu'il est)...Chez Demy, tout est matière à imagination, tout est matière à récit.
A la fin, à la vue de tous ses souvenirs, une question se pose : pourquoi Jacques Demy n'a pas fait de film qui se déroule sous l'Occupation (comme Truffaut, Malle, Chabrol...ses contemporains) ? La réponse se trouve finalement dans le film lui-même : à la réalité trop dure, il a préféré l'imaginaire et ce regard porté en couleurs sur le noir et blanc du quotidien a finalement irradié toute son oeuvre.