Jane
6.6
Jane

Film de Cho Hyun-Hoon (2017)

Ce film coréen, le premier long métrage de Cho Hyun-hoon est très difficile à évaluer, tant il surprend et laisse perplexe par bien des aspects. Et ce n’est pas parce que la dernière séquence donne une explication concernant la rencontre entre So-hyun et Jane que tout s’éclaire.


Le titre du film attire l’attention sur Jane, personnage qui disparaît avant la fin de la première moitié du film, alors qu’on n’arrive toujours pas à identifier le nom de l’autre protagoniste principale, So-hyun. Cela s’explique évidemment par la situation qui les met en présence et par leurs différences de caractères. Jane affiche un fort caractère qui lui permet de faire dans la vie ce qui lui tient vraiment à cœur, sans trop se soucier de ce que les autres en penseront. De son côté, So-hyun est une pauvre fille abandonnée, qui s’est réveillée seule dans une chambre d’hôtel où elle était venue avec Jung-ho son amoureux. Désespérée, elle s’ouvre les veines d’un poignet. On a le temps de remarquer que le sang qui s’écoule de son poignet dans l’eau de la baignoire est très sombre, pas spécialement rouge, quand on sonne à la porte. C’est Jane, qui remarque aussitôt la blessure de So-hyun, la soigne et lui propose de venir chez elle. Le geste désespéré de So-hyun n’était qu’un appel au secours, elle accepte l’invitation sans trop se faire prier.


Le début, accompagné de belles images colorées, d’une esthétique un peu tape-à-l’œil n’est qu’un trompe-l’œil au vu de la suite et des rebondissements qui vont émailler les 1h44 de projection. Le spectateur se pose énormément de questions et toutes ne trouveront pas de réponses précises. D’abord, le tout début est accompagné d’une voix off qui annonce d’emblée « Ma vie n’est que mensonges, depuis ma naissance » et qu’on hésite à attribuer : Jane ou So-hyun ? D’après ce qu’on enregistre comme informations en cours de projection, cela collerait bien avec le personnage de Jane. Oublions de qui vient cette parole et penchons-nous sur sa signification : à partir de là, nous spectateurs pouvons douter de tout, ce que le réalisateur ne manque pas d’exploiter !


La suite du film montre So-hyun accueillie chez Jane. Bientôt on découvre que Jane héberge d’autres personnes, toutes jeunes, et que son intérieur (belle apparence) est envahi par ces jeunes qui passent beaucoup de temps à discuter pour tenter de se mettre d’accord. Beaucoup sont à même le sol et on remarque bientôt qu’ils désignent Jane par le sobriquet de maman. On comprend qu’ils la respectent essentiellement parce qu’elle leur offre l’hospitalité. Les relations exactes entre les uns et les autres restent incertaines voire troubles. Jane est en fait un nom de scène et So-hyun dit plusieurs fois l’avoir observée dans cette situation une unique fois, ce qui correspond probablement aux séquences du début de film. En fait Jane semble au bout du rouleau, même si le personnage poursuit son manège fait de mensonges, avec un vendeur de ballons sur la plage, en niant avoir embarqué une boule à facettes, etc. Son comportement intrigue d’autant plus que son apparence physique pose question. En dépit de son maquillage et de son goût pour les couleurs, on finit par remarquer des traits et des formes qui manquent un peu de féminité : Jane a tout du travestit, ce qui éclairerait la parole en voix off du début.


Maintenant, viennent les points qui laissent vraiment perplexe. Le scénario est évidemment non linéaire, mais cela n’explique pas tout.


Pour le suicide de Jane, brutal et sans explication, on a l’indice de l’anorexie niée. De plus, Jane parle plusieurs fois de son lien avec Jung-ho, celui-là même dont So-hyun déplore la trahison. Peut-être Jane a-t-elle perdu tout espoir de le retrouver. Le suicide découvert, celles et ceux que Jane hébergeait l’enterrent à la sauvette, quelque part à l’écart de la ville. On peut supposer que ce soit pour dissimuler sa mort et pouvoir continuer d’habiter chez elle et de poursuivre leurs activités. Ensuite, on remarque que l’un d’eux se fait appeler papa. S'il semble en position dominante, on n’arrive jamais à comprendre ce qu’il dirige. On imagine de la prostitution, ce qui pourrait expliquer pourquoi le groupe met So-hyun à l’écart. A un moment, on la sent très abattue et elle dit qu’elle ne comprend pas comment s’y prendre pour nouer des relations avec les autres. Sur son visage et dans son attitude générale, So-hyun affiche tout de la victime. Autre point difficile à comprendre, un peu plus tard, une jeune fille du groupe meurt à son tour et est enterrée dans les mêmes conditions. Des conditions tellement similaires qu’on peut se demander si on ne revoit pas la scène de l’enterrement de Jane.


Bref, à force de non-dits dans un scénario non linéaire, le réalisateur Cho Hyun-hoon finit par déconcerter le spectateur qui arrive en fin de projection sans réponse à certaines questions. C’est bien dommage, car on tient avec ce film, une œuvre où les personnages de Jane et So-hyun sortent vraiment de l’ordinaire. De plus, les situations font plus que surprendre. Le spectateur est carrément bousculé, titillé dès le début hors de sa zone de confort. Malheureusement, le réalisateur va sans doute un peu trop loin dans l’effort d’interprétation qu’il propose au spectateur.


Présenté au festival du film coréen à Paris le 28 octobre 2017.

Electron
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le 16 nov. 2017

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