Des monstres et des dieux
Jason faisait partie de ces films vus dans une jeunesse déjà un brin lointaine, tant adulés en leur temps mais parfois aussi un peu oubliés. Un revisionnage dans son entier s'imposait, au delà des multiples séquences mythiques regardées ici ou là avec la plus goulue des avidités.
Alors ne nous voilons pas la face et tâchons de garder la plus sobre des objectivités : Ce film est une oeuvre tout simplement grandiose qui offre à l'épopée de Jason une de ses plus fortes et pertinentes illustrations.
L'ensemble, bâti comme le plus simple des péplums, érige cette histoire de héros hargneux, se dressant à la face des dieux dans toute son orgueil magnifique, sur des tons parfois fadasses et sans grande saveur, accusant sévèrement un manque de personnalité prononcé dans l'évocation de ces terres désolées et contrées de l'inconnu. Mais là ne réside pas la force esthétique de ce film, ça tout le monde le sait, qu'il ait vu ou non l'oeuvre en question. Comme sur "La Vallée de Gwangi" ou "Le Choc des Titans", respectivement 6 et 18 ans plus tard, ces images délavées sont le terrain de jeu d'un génie bouillonnant, père affectueux d'un bestiaire monstrueux.
Certains montreront du doigt ces vagues déchaînées de créatures animées comme "n'ayant pas trop mal vieilli" ou encore "pouvant laisser perplexe en comparaison des moyens techniques actuels mais empreints d'un petit charme désuet", et je respecte ces avis bien que je ne les partage pas une seconde ni même ne les comprends (ou refuse-je de les comprendre plutôt). J'aime à considérer le cinéma comme un Art constitué de plusieurs mouvements, à l'instar de la peinture, et en ça, je me permets juste d'exprimer le fait que je préfère de loin, sans la moindre hésitation, le mouvement de la stop-motion que celui du numérique. La première de ces techniques de représentation me touche et m'émeut, à l'inverse de l'autre que j'apprécie comme un Big Mac pour caler une dalle rapide.
Et là, on est au sommet. Que ce soit les harpies criardes s'animant d'un clair-obscur inquiétant dans la nuit bleutée, l'armée de squelettes finale se relevant des entrailles de la Terre ou l'hydre, gardienne zélée de la Toison d'or, déliant ses cous multiples dans les volutes d'une brume épaisse suintant des ténèbres de son antre, on est clairement devant un des aboutissements de l'art de la stop motion, une technique amoureuse, attachée, image enivrante d'un créateur attentionné prenant grand soin de mettre en scène ses illustres rejetons. Il y a du reptilien, du chiroptèrien, du grouillant et de l'osseux, le tout étant à mon sens magnifié par la splendide scène de l’île de Bronze, ancienne forge des dieux, atelier démesuré d'Héphaïstos, gardée par le géant Talos, déplaçant sa monumentale stature au dessus des falaises dans les grincements métalliques de son vert-de-gris antédiluvien.
Harryhausen confirme que sa passion née trente ans plus tôt, alors que bouche bée il regardait Kong tabasser un T-Rex, a engendré un talent virtuose de l'imaginaire prenant forme et s'impose au panthéon des dieux de l'art du mouvement, aux côtés de son mentor, Willis O'Brien, animant ses créations comme Zeus place ses Héros sur son dantesque échiquier.
Je voulais à la base revoir ce film pour vérifier que ma note était justifiée, quelque peu attribuée par une certaine nostalgie d'un souvenir lointain. Redécouvrir ce film aujourd'hui en décuple la saveur, et de divertissement de choix, il passe à petit chef d'oeuvre d'un temps oublié, une époque où on racontait les histoires avec un amour passionné qui ne trouvera jamais son égal.