Alors jeune adolescent en quête d’apprentissage, j’eu la chance de croiser la carrière du génial Kevin Smith, réalisateur américain indépendant, dont les œuvres marquèrent durablement mes rétines impressionnables de cinéphile en herbe. Avec ‘’Clerks’’, ‘’Mallrats’’ et ‘’Chasing Amy’’, que je considère encore aujourd’hui comme des œuvres cultes, le cinéaste du New-Jersey avait trouvé le rythme et les mots pour représenter à l’écran ceux qui sont habités de leur passion, baignant dans la pop culture, appelés vulgairement les ‘’Geek’’.
Devant son objectif Kevin Smith propose une galerie de personnage très riche, avec une immense bienveillance. Mettant en scène des débats parfois interminables, sur des sujets liés à la pop culture. Comme se poser la question sur les ouvriers qui construisent l’étoile noire dans ‘’Le Retour du Jedi’’… Qui suite à son explosion entraine leurs morts. Eux qui ne faisaient que gagner leur croûte pour nourrir leurs familles.
L’un de ces débats les plus mémorables se trouve dans ‘’Clerks II’’, alors qu’un personnage défend ‘’Star Wars’’ face au ‘’Seigneur des Anneaux’’, en assurant qu’il n’y ‘’qu’une seule trilogie, et ce n’est pas celle de l’Anneaux, mais celle du Jedi !’’. Voilà un peu le tableau. Et ça fonctionnait bien, avec un mélange de naïveté et d’humour potache, le tout filmé avec un cœur énorme et authentique.
Les œuvres de Kevin Smith peuvent parler à tous ceux qui se sont un jour demandés ‘’Qui est le plus fort, Batman ou Superman ?’’. (Batman bien entendu !).
Et puis sa carrière a commencé à sombrer brutalement, avec des productions de plus en plus génériques et impersonnelles. Atteignant un point culminant dans les hauteurs de la médiocrité avec ‘’Cop Out’’ en 2010. Une comédie policière avec Bruce Willis, qui ressemble à n’importe quel film de l’époque. Pour un metteur en scène qui avait su capter l’essence même de ce qui anime les amoureux de la pop culture, c’est une bien triste dégringolade.
Par la suite, il se plongeât un peu, avec succès, dans l’horreur. Signant ‘’Red State’’ et l’incroyable ‘’Tusk’’, avec une certaine aisance étonnamment efficace, ces deux œuvres sont particulièrement violentes. Un retour gagnant qui tranche avec son style habituel, mais qu’il s’évertue à détruire avec le navet ‘’Yoga Hosers’’ en 2016. Une catastrophe de 1h30 annonciatrice de l’échec ‘’Jay and Silent Bob Reboot’’.
Cette suite directe de ‘’Jay and Silent Bob Strike Back’’ en 2001 (putain bientôt 20 ans…), cette nouvelle comédie de Kevin Smith est un ratage en bonne et dû forme, du début à la fin. Si dans son cinéma il y a toujours eu une forme d’auto-centrisme sur lui-même, ici c’en est à gerber. Au point qu’il vient même à se mettre même en scène lui-même, en tant que Kevin Smith...
Il y ouvre les vannes de l’auto-bashing, en faisant des références corsées à ‘’Cop Out’’ et ‘’Yoga Hosers’’. Des échecs qu’il assume visiblement, au point de s’en amuser. Mais il n’y a pas de remise en question, ou de mea culpa, c’est juste un acharnement gratuit, censé être drôle, envers lui-même. Mais ça ne prend pas, car dans ses réalisations, Kevin Smith s’est sans cesse remis en question. Avec une sincérité qui ici fait défaut.
La magie ne fonctionne absolument pas, et tout apparaît forcé, il n’y a rien de naturel, et surtout ce n’est jamais drôle. Le film se construit comme une accumulation de private joke et d’auto-références parfois obscures, laissant à se demander qui peut bien être le public à qui est destiné le film. Forcément, c’est pour un public avertis, qui connaît Kevin Smith.
Et pour apprécier ce film et ses milliers de références, il est préférable de connaître l’œuvre de Kevin Smith, sinon ça n’a aucun intérêt. Du fait, ça en devient un métrage de niche, pour un nombre restreint de spectateur/rices. Et là où le bât blesse, c’est que même pour son public ‘’Jay and Silent Bob Reboot’’ est une rature.
En voulant se moquer du cinéma d’exploitation, et de la mode des reboots/remakes/prequels, il en vient à saboter lui-même son film, puisque son existence même est sa nature de suite. Ou plus exactement de reboot, comme l’indique le titre.
Comme souvent chez Kevin Smith, il y a une démarche qui se veut un peu méta. Dans ‘’Jay and Silent Bob Strike Back’’ en 2001, les deux personnages partaient à Hollywood, alors que des producteurs ont décidés d’adapter un comics, dont les personnages sont inspirés d’eux. Bien décidé à empêcher la réalisation de ce projet, ils croisent une galerie de personnage, tous appartenant à l’univers du cinéaste depuis ‘’Clerks’’.
En 2019, dans ‘’Jay and Silent Bob Reboot’’, Hollywood veux rebooter le film de 2001. Apprenant la nouvelle, Jay and Silent Bob se lancent dans un road trip en direction de la capitale du cinéma, pour tenter d’empêcher la réalisation de ce reboot. C’est donc le même postulat, sauf que dans le premier film l’aventure proposée était riche. Parfois complétement à côté de la plaque, mais avec une telle générosité et une énergie communicative.
Pour ce reboot, bye bye les situations loufoques et drôles, les rencontres faites par le duo ne font qu’aboutir sur des séquences verbeuses outrancières. Et pas drôles quoi… Jamais le film ne parvient vraiment à exister pour ce qu’il est : une aventure comique. Mais les péripéties laissent la place à une sorte de prise de parole de Kevin Smith, décidé à parler de lui. Et de rien d’autre.
Ainsi, il s’auto-cite, s’auto-film, s’auto-parodie, s’auto-analyse et s’auto-regarde le nombril. ‘’Jay and Silent Bob reboot’’ c’est l’histoire d’un réalisateur qui se masturbe hors contexte, en espérant que vous trouverez ça drôle. Non, regarder quelqu’un se masturber, d’une c’est pas drôle, et de deux soit c’est une agression sexuelle, soit c’est juste très gênant.
Pour se faire il met en scène sa fille (comédienne peu talentueuse) dans un rôle principal, sa femme, (apparaissant dans une séquence), sa crise cardiaque (sur laquelle il ironise), son job chez IMDB (il apparaît même avec un jersey floqué du logo), sa relation avec son pote Jay Mewes (une bromance qui dure depuis ‘’Clerks’’), et de son idée géniale de faire une suite, qui serait plus un remake ou un reboot (ui est donc le film devant lequel on se retrouve).
En sommes, pendant 1h40 Kevin Smith essaye de faire comprendre que sa vie est cool. Mais le plus pathétique est qu’Il essaye d’avoir un regard pseudo-critique dessus. Toujours au travers des discussions fleuves entre personnages assez inintéressantes (elles n’atteignent jamais la virtuosité de ses premières œuvres, paradoxalement riches de la réussite de ces discussions) il essaye de flinguer le concept de suite, et de reboot, en expliquant pourquoi c’est mal. Et en même temps il vient prendre la défence du Marvel Cinematic Universe, qui ne correspond exactement point pour point à son argumentaire incendiaire.
Se dégage ainsi une impression de malhonnêteté, et une forme d’hypocrisie latente, relative à la place proéminente prise par Kevin Smith au sein de la culture populaire. Ou plus vulgairement la culture Geek, assumée par les passionnées. En fait il est tout simplement devenu mainstream, correspondant à un produit bien précis, évolue dans son style particulier. Sauf que ce qu’il essaye de faire ne fonctionne plus.
Si ‘Clerks’’ est (et reste) un chef d’œuvre, c’est justement parce que ces personnes qu’il représente étaient sous représentés dans le cinéma et à la télévision. C’était un peu l’émergence d’une communauté, qui avec Internet à prise conscience de son nombre, énorme. Mais aujourd’hui Kevin Smith est entré dans une autre catégorie. Et c’est de celle-là qu’il vient parler avec ‘’Jay and Silent Bob Reboot’’. Une cast ancrée à Hollywood, mais qui n’a plus rien d’intéressant à raconter.
‘’Clerks’’ présentait une certaine idée de la vacuité, et c’est de mettre en scène ce ‘’rien’’ qui fait que le film est encore d’une grande richesse. Mais aujourd’hui, cette vacuité s’est invité au cœur même de e qui constitue l’œuvre de Kevin Smith, réduisant à la fois l’impact de sa portée (le film est même pas sorti au cinéma) et l’intérêt de son intrigue, concernant les obsessions de Smith. Tels l’amitié et la paternité, qu’il a déjà abordé par le passé, en mieux.
Bref, ‘’Jay and Silent Bob Reboot’’ c’est loin de la grande marade qu’était le premier, ça n’a plus rien à raconter, c’est pas drôle, c’est poussif et surtout ça met en lumière la carrière d’un metteur en scène qui tourne en rond, autour de lui-même, de son image et de son œuvre.
Un ego-trip hypocrite, loin de toute originalité. Une grosse déception, puisque fût un temps, un nouveau film de Kevin Smith c’était considéré comme un événement. Maintenant c’est juste une épine supplémentaire dans le pied de sa carrière. Ça fait mal.
-Stork._