« Je danserai si je veux » : derrière l’entêtement charmant de la formule, qui suggèrerait presque un caprice d’enfant gâtée, se profile bel et bien une forme de résistance, le mot est lâché, et sans doute la réalisatrice palestinienne, elle-même issue de la minorité arabe d’Israël, a-t-elle voulu, par ce titre, traduire joliment mais fermement la détermination de ses héroïnes, trois filles assoiffées de liberté, qui à leur manière, vont briser les règles qu’on leur impose.
« Par Dieu, je jure que je suis apte aux plus grandes choses
Et je suis librement mon chemin la tête haute ,
Je m’abandonne à mon amant pour l’étreinte
Et je laisse un baiser à qui le désire »
Pouvait-on lire sur le décolleté brodé du caftan de Wallâda, pour peu que l’on s’inclinât vers son épaule, tout près du cou.
Princesse omeyyade, fille de calife, poétesse de grande culture, intelligente et fière, son franc-parler et sa chevelure au vent témoignaient assez de son caractère ardent et libre.
« Libertine et amorale » s’offusquaient les bien-pensants du XIe siècle, mais la belle n’en avait cure, et dès la mort de son père, tenait salon dans son palais pour y accueillir les plus beaux esprits de l’époque.
Libre dans sa tête et dans son corps, ardente et fière, c’est ainsi que nous apparaît Leïla, reprenant le flambeau, quelque dix siècles plus tard, dans le film de Maysaloun Hamoud.
Ni princesse ni poétesse, mais une impeccable working girl à l’opulente chevelure auburn, soignée, manucurée, brillante avocate de surcroît, dont le charme pourtant, ne le cède en rien à la pugnacité qui l’anime, face à un confrère, séduit, mais un peu interdit par sa superbe, tant physique que professionnelle.
Le petit appartement de Tel Aviv, qui abrite toute une mini-société palestinienne, a remplacé le salon littéraire d'antan, et l’on y boit, fume et danse sans modération dans des rave-parties hebdomadaires.
Salma, la jeune colocataire, baguée et tatouée, barmaid dans un bar branché, refuse sous des prétextes divers, tous les prétendants que sa famille lui propose, plus occupée à vivre une belle histoire avec la fille de son choix.
Et c’est dans ce contexte sans tabous, dans le huis-clos rassurant de ces quatre murs, que débarque, traînant sa lourde valise sous les yeux ébahis des deux jeunes femmes, Nour, regard naïf et silhouette ronde, engoncée dans la tenue traditionnelle, cousine éloignée venue faire ses études à Tel Aviv.
Voilée et de famille ultra religieuse, la jeune fille a été promise par son père, dans la plus pure tradition islamique, à un homme très pratiquant, qu'elle connaît peu.
Contraste saisissant s’il en est, cependant, contre toute attente, la cohabitation se révèle harmonieuse, cimentée par une véritable affection et un respect mutuel ; modernité d’un côté, traditions de l’autre pour la jeune étudiante qui ne formule qu’un seul souhait : recevoir son fiancé et cuisiner pour lui quand ses cours le permettent.
Mais chacune va voir sa liberté entravée par la réprobation, voire la violence de ses proches : le beau Ziad, qui trouvait irrésistible la cigarette entre les doigts effilés de Leïla et ses ongles de star, ne la supporte plus dès lors qu’un regard extérieur, à plus forte raison familial, surprend la jeune femme dans sa sujétion quotidienne, et les parents de Salma, sous leurs dehors aimants, tendres et ouverts, ne «connaissent» plus leur fille, furieux et surtout honteux de ses préférences sexuelles.
Alors certes, il s’agit d’une comédie de mœurs, drôle et tendre mais qui n’édulcore jamais la violence subie, et l’on retiendra une scène, sans doute la plus forte, la plus émouvante aussi, où Nour, meurtrie dans sa chair et dans son âme, recroquevillée dans sa douleur et sa détresse muette, s'abandonne, telle une poupée de chiffon, aux mains de ses deux "soeurs", qu’anime une colère sourde, tandis qu’avec une douceur et une compassion infinies, elles font couler, sur le corps souillé, l’eau bienfaisante qui apaise et purifie.
Affirmation féminine au sein d’une culture patriarcale ployant sous le poids des traditions, belle solidarité entre ces femmes issues d’une minorité, où les hommes n’aspirent qu’à les écraser, c’est ce qu’a voulu illustrer Maysaloun Hamoud dans ce premier long métrage, produit par le réalisateur israélien Schlomo Elkabetz, lequel l’a dédié à sa sœur, la regrettée Ronit, belle et rebelle, incarnation de la femme et de l’actrice libre à jamais.
Un film qui touche à cœur parce-que sincère et vrai, fait pour les femmes, par une femme, courageuse et militante à sa façon, qui en deux heures s’attaque à tous les tabous, un film qui met cette société "face à ses contradictions, pour pouvoir avancer".