Deux ans après son « Lady Vengeance », clôturant avec brio sa trilogie de la revanche, Park Chan Wook nous offre « Je suis un cyborg », une comédie romantique complètement frappée, qui, malgré sa thématique difficile, démontre une fois de plus le génie du réalisateur coréen.


Réaliser une comédie avec pour cadre un hôpital psychiatrique n'est pas tâche aisée, surtout quand on y parle de schizophrénie, de suicide, de meurtres fantasmés, de deuil ou de séances d'électrochocs. La grande réussite du film est justement d'avoir su évoquer tous ces thèmes plutôt que d'afficher une image bien trop édulcorée de la démence et de l'internement, tout en gardant une forme de légèreté et de poésie délicieuse : un véritable tour de force, en soi.


Young-goon est un cyborg, du moins elle en est persuadée. En essayant de se « recharger », elle atteint à ses jours sans s'en rendre compte. Placée en institution psychiatrique, elle refuse de s'alimenter, de crainte de tomber en panne. L'équipe médicale ne parvenant pas a la soigner, c'est sa rencontre avec Il Soon, jeune homme qui croit pouvoir « voler » l'âme des autres, qui l’entrainera sur le chemin de la guérison.


La grande force de Je suis un Cyborg tient dans ce fantastique duo, dont on pénètre ici l'intimité. Le spectateur est plongé directement dans l'esprit dérangé de Young-Goon : ses fantasmes nous sont montrés, à l'image de ces instants où ses pieds s'illuminent et indiquent son niveau de batterie, ou ces scènes dans lesquelles elle se mue en une machine de guerre massacrant le personnel de l'hôpital. Quant à Il Soon, on le verra changer complètement d'attitude à chaque « vol d'âme » : transmutant avec celle d'un patient pathologiquement ravagé par le remord et la honte, il ne pourra marcher qu'à reculons pour ne pas manquer de respect à autrui, jusqu'à ce qu'il effectue un nouveau « switch ». Deux folies très particulières qui sont de jolies trouvailles.


Les performances d'acteurs sont époustouflantes. Lim Soo-Jung (aperçue auparavant dans l'excellent « Deux Sœurs »), coupe de cheveux improbable aux reflets bleutés et sourcils invisibles car éclaircis, est délicieusement craquante et adorable dans son rôle de petit cyborg, tandis que Jung Ji-Hoon (une star de la chanson en Corée !) se montre parfait dans son interprétation de l'accession progressive à l'humanité par le biais de l'amour . Le reste du casting est lui aussi de qualité, tous les acteurs campant avec brio leur démence respective.


Avant d'être un film drôle, Je suis un Cyborg est surtout un film remarquablement beau et touchant, évitant une surenchère de comique sans finesse qui, compte tenu du cadre, aurait finalement entaché la réussite de l'ensemble. Il y a quelque chose de tragique dans l'histoire de Young Goon, profondément attachée à sa grand mère qui, avant elle, avait succombé a la folie. D'abord mal vue par certains patients, elle finira par devenir leur égérie, à l'image de cette grève de la faim qu'ils entreprendront par solidarité avec elle. Le film tend souvent vers le surréaliste et offre quantité de moments superbes, touchants et drôles a la fois, comme la scène du yodle, à mes yeux le meilleur moment du film) d'Il Soon, dont le chant rendra Young minuscule et lui permettra de s'évader de sa cellule capitonnée, voyageant dans son lit par dessus des nuages, portée par une coccinelle. Tout cela est évidemment faux, le scenario ne basculant heureusement jamais dans le fantastique, mais de telles scènes permettent au spectateur de s'attacher à la relation qui se noue entre nos deux héros.


Les éclairs de génie de ce genre abondent dans le film de Park Chan Wook. L’hôpital lui même est une réussite esthétique et constitue presque un personnage en soi (ses chambres capitonnées vertes, son horloge, ses lumières, sa fresque dans la salle commune..). Certains éléments sont récurrents, comme ce carnet imaginaire qui cite les sept péchés d'un cyborg (comme la compassion), la présence du dentier de la grand mère ou la mystérieuse phrase incomplète de celle ci sur le but de l'existence humaine ... L'ensemble peut être dur a assimiler, mais il nous permet, au final, de comprendre l'histoire et les tribulations de l'esprit malade de Young-Goon.


On pourra trouver Je Suis Un Cyborg un peu trop perché pour être vraiment appréciable, tant la folie ambiante et l'aspect déconstruit prédominent. Entrer pleinement dans cet univers n'est pas aisé, cependant, une fois que l'on se laisse porter, on ne peut que savourer ce petit chef d’œuvre unique en son genre.


A la fois drôle, triste, beau, tragique, déstabilisant et émouvant, Je suis Un Cyborg véhicule une quantité impressionnante d'émotions et se pose comme une grande réussite de la part de Park Chan Wook, dont le talent décidément très protéiforme continuera d'être démontré par la suite, avec un très beau film de vampires (Thirst) et un efficace thriller « à l'occidentale » (le tout récent Stoker). Chaudement absolument, à moins d'être réfractaire au charme barré de l'ensemble.

Ramlladu
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le 22 mai 2013

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