Je suis un soldat est l’histoire de deux premières fois. Laurent Larivière signe ici son premier long métrage, directement sélectionné et présenté à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard. Mais c’est aussi la première fois qu’un rôle est directement écrit pour Louise Bourgoin. Dans les mots de Sandrine, la jeune femme qu’elle incarne à l’écran, l’actrice dit même retrouver des accents autobiographiques, presque documentaires. C’est que Je suis un soldat est un film ultra réaliste, noir, sans concession. Quelque chose dans son regard sur cette femme qui se bat ressemble étrangement à un film des frères Dardenne. L’héroïne y est en tout cas enfouie sous des vêtements informes, cheveux courts et tête haute, sans honte ni peur au milieu des hommes. Les hommes y sont tantôt violents, amoureux ou lâches, jamais dominants. Pourtant Laurent Larivière, contrairement bien souvent aux Dardenne, offre un horizon à son héroïne, un ailleurs possible.


Quand on la rencontre, Sandrine débarque chez sa mère et pense s’y réfugier quelques temps. Mais dans cette maison familiale, la mère recueille déjà la sœur de Sandrine, son mari et leur enfant. Eux aussi n’ont pas complètement résisté à la crise, alors l’homme s’use sur le chantier de leur future maison, rêve qui s’éloigne de plus en plus chaque jour. Dans cette maison-là, Laurent Larivière filme l’entraide, mais aussi la soumission à un statut social. On y voit une mère faire les comptes, s’agacer quand de l’argent est mal dépensé. Ce « drame » familial garde finalement assez peu d’intérêt, tant il banalise le portait de femme forte que Larivière dessine avant tout. La misère sociale est ici filmée de tous les côtés, la société stigmatisée, comme écrasant les plus demandeurs. Non, il ne faut pas être en demande quand on cherche un emploi, mais avoir à offrir, pouvoir se projeter dans la galère. Sandrine l’apprend à ses dépens. C’est comme ça qu’après des tentatives plus ou moins ratées, elle débarque dans le chenil de son oncle. Un oncle aussi proche du foyer familial qu’il semble en être exclu. C’est un homme complexe, déstabilisé face à la force de Louise Bourgoin, mais cherchant à la maîtriser, qu’on rencontre.


C’est dans ce chenil que tout se joue. Sandrine s’y révèle en combattante, maîtrisant tous les aspects de ce qui ressemble un trafic de drogue. Forte, déterminée, elle se heurte à ce trafic de chiots venus de l’est comme on y traiterait des femmes venues du même espace géographique, pour vendre leurs corps au plus offrant. Souvent filmée dans des coins plus ou moins sordides, Laurent Larivière montre avant tout une femme qui ne se laisse pas faire. De nuit ou du moins dans la pénombre, elle négocie, ment, trafique et tente de garder la tête hors de l’eau. Impossible de baisser les bras, ce qu’elle a vu est trop immense, trop complexe. Elle se bat, mais est en même temps maintenue ici par ce qu’elle y a découvert. En parallèle, c’est chez un vétérinaire fragile, autre portrait d’homme à contre-courant, que Sandrine va faire de faux certificats de vaccinations. Cet homme-là se met à nu devant elle, littéralement et métaphoriquement, ce qu’elle ne fait (presque) jamais tout le long du film. Elle est toute de colère rentrée, « un bon petit soldat » comme celui du titre ou de la chanson de Johnny Hallyday (Quand vient la nuit) que l’on entend pendant le film. Obéissant à des règles, continuant de vivre malgré tout. Pourtant, elle s’autorise une sortie de route, en pleine crise, dans une scène glaçante où la colère rentrée, aussi bien celle de l’actrice que celle du personnage, explose.


Le film de Laurent Larivière manque encore d’un regard solide, plus pertinent sur ce monde social qu’on a tant filmé, tant regardé, décortiqué, sans jamais en proposer autre chose qu’un réalisme banal. Pourtant, il se détache par son portrait de femme combattante, qui n’a pas besoin de ressembler à un homme, qui écrit sa propre histoire, même si elle est entraînée par des forces plus grandes qu’elle. Il s’agit avant tout d’un film d’acteurs, car Louise Bourgoin s’y révèle comme on l’a rarement vue : impliquée toute entière par le corps, la fougue, le désir et la force. Lumineuse au milieu de la crasse ambiante, elle a à ses côtés des acteurs formidables, dont Jean-Hugues Anglade, loin des rôles de flics qu’ils incarnent à tour de bras depuis quelques années, tour à tour protecteur, trafiquant ou animal. C’est aussi ce personnage d’homme que le film révèle à lui-même. Car les soldats du film, ce sont tous ces gens qui n’ont presque rien, qui doivent se lever chaque matin pour ne rien gagner ou presque, qui doivent y croire, obéir, ne jamais dépasser les limites et qui n’ont aucun moyen de dire « stop », de sortir du rang. Le film leur rend un bel hommage, c’est déjà ça.


En savoir plus sur http://www.cineseries-mag.fr/je-suis-un-soldat-un-film-de-laurent-lariviere-critique/#bXdCOVjdsHcJuwk2.99

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le 7 juin 2015

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eloch

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