Soyons de bonne volonté en commençant par reconnaitre les qualités de ce premier film avant que d’en fustiger les maladresses. Je suis un soldat opère sur un terrain glissant dont il évite bien des pentes, et en cela, mérite bien des éloges. Film social et de mafia, il réussit là où se plantaient les bien plus médiatiques Loi du marché et Dheepan : en évitant misérabilisme didactique et imitation ratée. Tout est ici modeste : le milieu décrit, les écarts avec la loi, les dangers du milieu et les dérives possibles. Dans cette initiation au milieu du trafic de chiens, Laurent Larivière construit des personnages plutôt crédibles, qu’il s’agisse de Louise Bourgoin savamment motivée à effacer tout glamour ou Jean Hugues Anglade en patriarche de seconde zone, dont la violence rentrée est assez convaincante.


S’ajoute un arrière-plan lui aussi plutôt juste, à travers une mère délicatement brisée par la vie, un beau frère qui tente de l’affronter à son tour et l’illusion éphémère de penser que l’argent où la solidité de la brique est l’unique solution aux difficultés de l’existence.


La principale qualité du film réside dans la majorité de ses scènes, sur le fil, optant pour le regard dur et désabusé du personnage de Louise Bourgoin, résignée à certaines concessions pour s’en sortir. La neutralité avec laquelle on évoque la marchandise vivante, le mutisme effrayant des intermédiaires et les friches glauques de la frontière franco-belge achèvent un tableau convaincant. Les parallèles entre cette chair à trafic et les individus face au capitalisme est facile à opérer, et Larivière a l’immense mérite de ne jamais la surligner.


La question est de savoir si l’on aurait pu se limiter à une telle ambition, finalement documentaire, et se dispenser des maladresses d’écriture qui émaillent la progression du récit, forcé de reprendre les rails d’une certaine convenance romanesque. L’intrigue sentimentale est à jeter, et les voies de la rédemption assez difficiles à gober, tant pour la protagoniste que son oncle. De la même manière, la mise en scène souffre d’un manque d’homogénéité, et l’on sent que le réalisateur n’a pas encore clairement défini sa ligne esthétique, passant d’un naturalisme brut, caméra à l’épaule à un lyrisme poétique assez incongru, filtre rouge sur une rivière, séquence qu’on croirait sortie du Valhalla Rising de Refn, ou clip musical pour une série de portraits familiaux qui tranche trop avec le reste pour pleinement convaincre.


Il n’empêche. Par sa direction d’acteur, par son habileté à ne pas se vautrer comme tant d’autres, bien plus expérimentés, le font, par sa capacité à donner vie à un monde sans fard, Laurent Larivière est un cinéaste à suivre.

Sergent_Pepper
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le 22 déc. 2015

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