J’avais découvert la première fois Erwin C. Dietrich à travers les œuvres de Jesus Franco et avec qui il avait collaboré de nombreuses fois, à la réalisation et parfois même comme producteur – il avait notamment produit une adaptation très particulière de "Jack the Ripper" avec Klaus Kinski. Figure du cinéma suisse d’exploitation (il n’y en a guère d’autres dont on ait gardé le souvenir), Dietrich s’est inévitablement aussi intéressé à l’érotisme, ingrédient central du genre et fil rouge du film dont il est question aujourd’hui. Sur fond de culture rock et de libération sexuelle, "Ich ein Groupie" se présente comme un road trip à travers l’Europe des années hippies, constamment à cheval entre récit classique et description réaliste prise sur le vif sans autre mise en scène que celle du réel, un peu à la manière du mondo, ce sous-genre du cinéma d’exploitation qui se caractérise (je cite ici Wikipedia, une fois n’est pas coutume) par « une approche pseudo-documentaire très crue dont le montage et le choix des images mettent en avant un aspect racoleur ou choquant du thème ».
Vicky, interprétée par la très sculpturale Ingrid Steeger et qu’on aura l’occasion durant une heure et demie d’admirer sous toutes les coutures, est une jeune Anglaise qui tombe un jour amoureuse de Stewart, le chanteur d’un groupe de rock qui se produit dans un parc londonien et qui l’invite à rejoindre sa couche à l’issue du concert. Il promet de l’emmener avec lui en tournée à Berlin mais ne se présente pas au rendez-vous qu’il lui fixe le lendemain. Elle décide alors, en compagnie de son amie Viviane, de se rendre par ses propres moyens dans la capitale allemande pour retrouver l’indélicat. Désargentée, les deux blondes partent en autostop et font une première étape à Amsterdam où elles achètent de l’herbe pour la revendre à Zurich, trompant la vigilance de la douane suisse dans une scène amusante où, contrôlées dans le train, elles prétendent que les sachets qu’elles ont caché dans leur culotte ne sont que des tampons hygiéniques… A la gare de Zurich, elles attirent l’attention des badauds, peu habitués aux jupes courtes. En Suisse, elles retrouvent Li, une de leurs amies, qui leur offre un chien (anecdote complètement incongrue dont on peine à saisir la raison) et participent à un pique-nique nudiste à l’issue duquel elles sont violées dans un étang par des motards des Hell’s Angels Switzerland (jouant ici leur propre rôle) vêtus de cuir noir et arborant des brassards nazis. Etonnamment, elles ne leur tiennent pas rigueur de cette agression et montent à l’arrière de leurs motos, entièrement nues, pour une chevauchée fantastique sur les routes de Suisse – les féministes apprécieront. Alors qu’elles entrent dans une boutique, en tenue d’Eve, pour s’acheter des vêtements (sous le regard médusé d’un quidam qui n’en croit pas ses yeux), les Hell’s Angles les attendent devant un cinéma en regardant une affiche d’"Easy Rider"…
Après une nouvelle séance d’autostop, elles parviennent à Munich où elles assistent à un concert du groupe Birth Control, puis à Berlin où Vicky fait la connaissance du riche imprésario de Stewart, lequel, prétendant l’amener vers le chanteur, l’entraîne en fait dans une messe noire où elle se retrouve nue (encore), entourée de bougies en forme de phallus et à la merci d’un prêtre à grand couteau. A son réveil, elle retrouve Viviane et les deux jeunes filles, nues (toujours), se droguent consciencieusement, nous offrant une scène assez pénible d’injection avec seringue et garrot. La dernière scène nous montre Vicky en plein bad trip courant nue (définitivement), la bave aux lèvres, dans les rues de Berlin, scène entrecoupée d’images de son rêve : elle courant nue dans les Apes au ralenti, rappel d’un plan de coupe très onirique qui est apparu en flash à plusieurs reprises tout au long du film. Précisons que l’ensemble de ces péripéties est émaillée de scènes d’accouplements divers avec des partenaires de passage et que si l’héroïne se livre si facilement à tous ces inconnus, c’est bien sûr par amour pour son beau Stewart.
"Ich ein Groupie" est un film très ambivalent : s’il se présente jusqu’à la dernière minute comme un hymne joyeux à la liberté sexuelle et à la culture hippie – appréhension positive qui constitue l’argument même du film comme spectacle érotique – c’est justement la toute dernière minute qui, nous montrant Vicky succombant à une overdose, relativise cette joie et cette innocence pour amener une lecture plus sombre. Ce qu’on nous avait présenté jusqu’ici comme l’insouciance de la jeunesse et l’épanouissement des sens participait aussi, au final, d’un processus morbide d’autodestruction : la toxicomanie n’est pas tout à fait une ivresse comme les autres. On réalise, en regardant ce film plus de quarante ans après sa sortie, que le monde a énormément changé durant ce laps de temps et on est frappé par l’absence d’entraves qui semble caractériser cette période – la danse, la nudité, le déliaison se présentant comme autant de manifestations d’une volonté de s’affranchir de tout sans arrière-pensées. Pourtant, ce qui frappe, lorsqu’on suit nos deux jolies blondes dans les salles de concert et les boîtes de Londres, Amsterdam, Zurich, Munich ou Berlin, c’est de voir à quel point tout est pareil dans les cités européennes, tout est partout interchangeable : mêmes tonalités rocks, mêmes cheveux longs, mêmes vêtements, mêmes déhanchements, mêmes rituels autour de la consommation de marihuana. Bien que les modes aient changé depuis, le processus d’uniformisation ne s’est certes pas atténué ; il n’empêche que c’est bien aussi un film sur la mondialisation des codes culturels que nous avons là. Derrière le vernis de la fiction et de l’érotisme, c’est un véritable témoignage documentaire et ethnographique.