A la mort de Claude Rich en 2017, je lisais un article sur ses plus grands films. Au milieu des plus connus figurait Je t'aime je t'aime, titre original qui ne m'évoquait rien, alors même qu'il a été réalisé par Alain Resnais. J'ai alors découvert qu'il avait été sélectionné pour le festival de Cannes de 1968, interrompu cette année-là pour les événements que l'on connaît. Piqué au vif, je l'ai visionné dans la foulée.
Je ne m'attendais pas à un véritable OVNI qui m'a laissé sur le cul. Je t'aime je t'aime est un magnifique film d'amour et de voyage dans le temps, un ensemble de courts-métrages en forme de puzzle à reconstituer. Il en découle une des histoires d'amour les plus intenses du cinéma, de celles qui dilapident le temps-même de sa substance. Car pour comprendre les sentiments, une histoire racontée linéairement ne suffit pas. Une histoire d'amour, ce sont de multiples pièces de souvenirs, heureux et malheureux, remémorés des dizaines, des centaines et des milliers de fois dans notre cerveau, reconstruits quasiment ex nihilo comme un monument qui tort le temps et toute sa plate vérité. Sans amour, le temps nous domine sans aucune pitié : "Il est quinze heures, demain il sera quinze heures, il est à jamais quinze heures". En amour, le temps est entre nos mains, il est modelé et remodelé, joué et rejoué, il est distendu, incohérent, éternel. Ajoutez à cela les aphorismes toujours pertinents de Claude, interprété si justement par Claude Rich, qui lui donnent une tonalité sucrée acidulée, un esprit vif qui a perdu toute espoir de vie. Et qui colorent ces fragments amoureux d'une infinie tristesse, relents d'un bonheur passé, voué à être vécu dans une boucle temporelle sans fin - le propre du cinéma.
Je t'aime je t'aime, je t'aime deux fois, car ce qui est encore plus émouvant que vivre une histoire d'amour aussi dramatique et dévorante, c'est la vivre deux fois - et en mourir, deux fois.