J'aime bien ce film et ce ne fut pas toujours le cas. Cette revoyure me l'a en quelque sorte un peu révélé à ma grande surprise. Pendant longtemps, j'avais pour Gérard Lauzier un regard lointain, un peu méprisant. Surtout, je ne le comprenais pas, du genre "on ne fait pas partie du même monde". À dire vrai, je me demande maintenant si ce n'est pas plutôt une question d'âge, de maturité pour être plus précis.
"Je vais craquer", tiré de "La course du rat", raconte l'histoire d'un trentenaire désabusé par son existence bourgeoise monotone, en tout cas pas assez palpitante. Il est rangé. Et certains s'ennuient quand ils sont rangés. Le rêve d'être libre et sans attache devient trop fort.
Chez lui, le rêve d'être un grand écrivain à succès et riche s'accompagne de la domination d'une grande vamp, ni pute ni soumise. Il me faut confesser que j'ai souvent vu ce film pour cette actrice qui l'interprète : Maureen Kerwin a du chien. Très élégante, très forte (du moins en apparence), avec sa voix rauque, très chaude, elle a effectivement un charme fou.
On comprend l'emballement du porte cravate que joue le jeune Christian Clavier. A cette époque, il jouait volontiers ce type de personnage, un peu coincé ayant des rêves trop ambitieux, pétant de temps en temps le petit câble qui le fait monter dans les aigus, en tout cas tombant de désillusion en échec sordide. Il l'incarnera à nouveau un an plus tard dans une histoire très proche (Les babas cools). Dans ce registre là, le comédien est sans reproche, souvent très juste.
Le film manque parfois de rythme, mais les acteurs sont bons. Nathalie Baye fait également une très belle sensation. J'aime beaucoup cette grande actrice qui a malheureusement pas assez participé à des comédies. Elle y est excellente ici.
Anémone, en tête à claque persévérante, accompagne fort bien ce trio de comédiens que j'avais envie de mettre en avant.
Il est vrai que la réalisation, pour correcte qu'elle soit n'en demeure pas moins ordinaire. Oui, correct est le terme qui me vient à l'esprit dans l'immédiat. Pas grand chose d'autre à dire, si ce n'est que dans le montage, peut-être qu'un peu plus de coupes auraient pu insuffler un peu plus de dynamisme ?
On retiendra de bons acteurs principaux (certains comédiens annexe ne sont pas très bons par contre, sans présence et alourdissent les scènes), un scénario acerbe sur la société française post 30 glorieuses, avec cette espèce d'aveuglement à la fois cynique, matérialiste, consumériste et tellement vain qu'on ressent encore chez beaucoup de français d'ailleurs (je me colle volontiers dans ce magma crétin). La satire est ici particulièrement mordante et constitue un petit document amer qui raconte finalement bien son époque, avec ses aspirations, son aigreur.
Alors qu'il m'inspirait assez peu quand j'étais jeune et plein de fougue tel un fier étalon galopant sur les collines qu'un avenir joyeux rendait encore plus verdoyantes, maintenant le cheval fourbu y entend une musique plus mélancolique, celle du vent triste et de ses trop grandes peurs existentielles. Tout ce fatras de mots pour dire que derrière la faribole humoristique, je perçois aujourd'hui le désarroi sans doute un peu bête d'une classe moyenne ou supérieure, bobo dirait-on de nos jours, devant les non sens et les désillusions de la société moderne.
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