Une plongée bouleversante au cœur de la justice restaurative

"Je verrai toujours vos visages", réalisé par Jeanne Herry, est un film profondément humain et émouvant qui s’attaque à un sujet rarement abordé au cinéma : la justice restaurative. En s’inspirant de faits réels, le film nous plonge dans des rencontres bouleversantes entre victimes et auteurs d’infractions, explorant les chemins tortueux du pardon, de la culpabilité et de la reconstruction personnelle. Grâce à une mise en scène intimiste, des dialogues percutants et des performances d’acteurs remarquables, Herry parvient à capturer toute la complexité et la puissance de ces échanges. "Je verrai toujours vos visages" s’impose comme une œuvre sensible et nécessaire, qui questionne et émeut à chaque instant.


Le film nous introduit dans l’univers méconnu de la justice restaurative, un dispositif qui permet aux victimes et aux auteurs d’infractions de se rencontrer dans un cadre sécurisé, encadré par des médiateurs. Cette approche, centrée sur l’écoute et le dialogue, vise à apaiser les souffrances et à offrir un espace de parole à ceux qui, habituellement, ne se rencontrent jamais dans le cadre de la justice pénale classique. Jeanne Herry s’attache à montrer ces rencontres avec une grande délicatesse, sans jamais verser dans le sensationnalisme ou la manipulation émotionnelle.


Le film suit plusieurs trajectoires : celle de victimes cherchant à comprendre et à se reconstruire, et celle des auteurs, souvent en proie à leur propre culpabilité. Loin de toute glorification ou de jugement unilatéral, Herry montre des êtres humains confrontés à leurs contradictions, leurs failles et leur désir de réparation. La structure du film, alternant entre les récits des différents participants aux cercles de parole et les moments de préparation et de réflexion, permet de saisir la complexité de chaque histoire.


L’un des atouts majeurs de "Je verrai toujours vos visages" réside dans la richesse et la profondeur de ses personnages. Chaque protagoniste est construit avec soin, évitant les stéréotypes pour offrir un portrait nuancé de ce que signifie être une victime ou un auteur. Le casting, exceptionnel, donne vie à ces rôles avec une sincérité bouleversante.


Adèle Exarchopoulos incarne une victime de braquage qui peine à se relever du traumatisme. Son personnage, à la fois fragile et déterminé, illustre parfaitement la difficulté de reprendre le contrôle de sa vie après une agression. Exarchopoulos livre une performance d’une justesse rare, capturant la douleur enfouie de son personnage avec une intensité discrète mais palpable. Ses moments de confrontation avec les auteurs d’infractions sont parmi les plus forts du film, révélant une lutte intérieure entre colère, incompréhension et un désir presque instinctif de comprendre.


De l’autre côté, les auteurs d’infractions sont également traités avec une profondeur inattendue. Denis Podalydès joue un homme ayant commis un délit grave, dont le sentiment de culpabilité le ronge autant que le silence imposé par la justice pénale. Podalydès réussit à rendre son personnage profondément humain, sans jamais chercher à l’excuser, mais en montrant le poids de ses actions sur sa conscience. Cette approche donne lieu à des moments de vérité saisissants, où les dialogues ne sont jamais simples, et où les excuses ne suffisent pas toujours à apaiser la douleur.


Le rôle des médiateurs, interprétés avec beaucoup de finesse par des acteurs tels qu’Élodie Bouchez et Leïla Bekhti, est essentiel dans cette dynamique. Ces figures de soutien, parfois discrètes mais toujours présentes, incarnent la patience et l’empathie nécessaires pour que ces rencontres puissent avoir lieu. Leur travail en coulisses, pour préparer les participants et les aider à exprimer ce qu’ils ressentent, est représenté avec une grande authenticité, soulignant l’importance de leur rôle dans ce processus de justice restaurative.


La réalisation de Jeanne Herry se distingue par sa sobriété et son attention aux détails. Plutôt que de chercher l’effet spectaculaire, Herry privilégie les plans rapprochés, les silences et les regards, permettant au spectateur de sentir la tension et la vulnérabilité de chaque rencontre. Les scènes se déroulent souvent dans des espaces confinés, des salles de réunion impersonnelles qui deviennent le théâtre d’échanges profondément intimes. Cette proximité, parfois presque inconfortable, rend chaque mot, chaque geste lourd de sens.


Herry parvient à capturer l’essence de ces moments avec une caméra discrète mais toujours attentive, qui saisit les micro-expressions, les larmes retenues, les gestes de nervosité ou d’apaisement. Les échanges entre les personnages sont filmés avec une authenticité qui donne l’impression d’assister à des scènes documentaires plutôt qu’à de la fiction, renforçant ainsi l’impact émotionnel du film. Cette approche immersive place le spectateur au cœur de ces rencontres, le rendant témoin des tentatives d’explication, de pardon et de réconciliation.


Les dialogues de "Je verrai toujours vos visages" sont l’une des forces motrices du film. Écrits avec une grande finesse, ils parviennent à capturer la complexité des émotions humaines sans jamais tomber dans la caricature ou le pathos. Chaque échange est chargé de sens, révélant les non-dits, les peurs et les espoirs de chacun. Les paroles des victimes sont poignantes, souvent empreintes de colère, de douleur, mais aussi d’un désir de compréhension qui dépasse la simple vengeance. Les auteurs, quant à eux, expriment une palette d’émotions allant de la honte à la sincérité, en passant par le déni ou l’espoir d’une rédemption.


Le film ne cherche jamais à donner des réponses toutes faites sur la culpabilité ou le pardon. Au contraire, il montre que ces concepts sont bien plus nuancés qu’ils n’y paraissent et que le chemin vers la guérison est semé d’embûches. Les dialogues ne sont jamais là pour imposer une morale, mais pour ouvrir des pistes de réflexion, pour mettre en lumière les zones grises de l’âme humaine. Cette écriture authentique et sensible donne lieu à des moments de cinéma d’une rare intensité, où chaque mot semble peser lourd dans la balance de la justice émotionnelle.


"Je verrai toujours vos visages" n’est pas seulement un film sur la justice restaurative, mais une profonde réflexion sur la douleur humaine, le pardon et la possibilité de réconciliation. Le film montre que la justice n’est pas qu’une affaire de tribunaux et de condamnations, mais qu’elle peut aussi prendre la forme de dialogues, de confrontations et de prises de conscience. Herry interroge la manière dont les victimes et les auteurs peuvent cohabiter avec leurs souffrances respectives, et s’il est réellement possible de tourner la page.


Le film ne donne pas de réponses faciles et c’est en cela qu’il est particulièrement poignant. Il reconnaît la complexité de chaque situation, le fait que certains ne parviendront jamais à pardonner et que d’autres n’arriveront jamais à se racheter. Mais il montre aussi que, parfois, le simple fait de se regarder dans les yeux et d’entendre l’autre peut amorcer un début de guérison, même fragile. Cette approche réaliste et humaniste confère à "Je verrai toujours vos visages" une force émotionnelle qui résonne longtemps après le générique de fin.


"Je verrai toujours vos visages" est une œuvre bouleversante qui se distingue par sa justesse, sa profondeur et son humanité. Le film de Jeanne Herry est une plongée saisissante dans le monde méconnu de la justice restaurative, un espace où la parole devient un outil de réparation et de compréhension. Grâce à des performances d’acteurs remarquables, une mise en scène intimiste et des dialogues authentiques, Herry parvient à capturer l’essence de ce processus complexe et profondément humain.


Le film invite le spectateur à réfléchir sur le sens de la justice, du pardon et sur les multiples visages de la douleur. C’est une œuvre qui ne cherche pas à juger, mais à montrer la réalité brute de la souffrance et du besoin de réconciliation, faisant de "Je verrai toujours vos visages" un film nécessaire et d’une rare puissance émotionnelle.

CinephageAiguise
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il y a 3 jours

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