Qui est Jeanne Dielman ? Dès le début du film, nous comprenons que ce n'est pas une femme au foyer ordinaire, et ce, pour une seule et unique raison : elle se prostitue. Elle se prostitue pour se payer un niveau de vie décent (surtout à son fils). Dès le début, nous savons donc que Jeanne n'est pas une femme ordinaire, mais peut-être que si après tout. Chantal Akerman fait tout pour la présenter comme une femme comme les autres : Jeanne n'est pas un cas unique.

Pendant plusieurs heures, Akerman installe le lourd, le pesant quotidien de Jeanne. Un quotidien morne, répétitif, sans surprise et surtout sans vie sociale. Une vie dont l’encéphalogramme est désespérément plat. Mais c'est, on le comprend, un choix forcé effectué par Jeanne. Depuis la mort de son mari, elle se sacrifie corps et âme pour son enfant. Elle donne son corps aux hommes et à, depuis bien longtemps, appris à ne ressentir plus aucune émotion.

Mais, tout le talent d'Akerman c'est de mettre un grain de sable dans cette mécanique bien huilée. On ne peut qu'éprouver une folle fascination par la lente fragilisation, destruction, effondrement de tout ce que cette femme a construit. Un dîner raté entraîne une série de contre-temps, de désagréments, de petites catastrophes, en apparence anodines, mais avec, à la fin, des conséquences désastreuses.

La caméra d'Akerman est fixe et ne cherche jamais à nous faire entrer pleinement dans la vie de Jeanne. Nous sommes toujours des spectateurs. Nous ne prenons jamais part à son désastre. Et pourtant, le jeu, les nuances, l'interprétation de Delphine Seyrig sont un exemple. Sans elle, sans son jeu, le film ne serait rien. Mais, il ne faut pas oublier qu'Akerman ne cherche à aucun moment la compassion du spectateur. Elle ne veut pas nous faire pleurer, ni nous interpeller, mais, par l'immobilité de son cadrage, par la prise de possession des lieux, elle nous force à subir ce quotidien morbide et donc, à nous faire réfléchir sur la vie de cette femme.
busterlewis
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le 1 févr. 2014

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