3 h 12 de film. Trois journées de la vie d'une veuve bruxelloise qui élève son fils qui finit le collège et qui se prostitue.
Les mêmes corvées, chaque jour. Dans le désordre : sortir à la boucherie. Vérifier la boîte aux lettres. Cirer les chaussures. Replier le lit du garçon Préparer le repas du soir. Faire un tour au centre commercial. Boire un café en ville. Prendre l'ascenseur. Faire la poussière. Accueillir le client. Déposer la somme reçue dans la soupière de la salle à manger. Tricoter en écoutant la radio belge.
Tous ces instants que normalement, le cinéma couperait au mieux en un insert de quelques secondes, vous allez vous les manger en entier. Dans un décor qui a dû inspirer les Deschiens, à base de vieux meubles de garni, de papier peint vert pomme ou vert sombre à motif floral, de vieux carrelage industriel.
Oui, vous aurez en intégralité l'épluchage des patates ou le moulinage du café en grain, les étages de l'ascenseur qui monte ou qui descend. C'est un peu comme regarder intégralement le programme de votre machine à laver.
Ce parti pris n'est pas gratuit. Il plonge dans l'univers sensoriel et sonore de cette femme, dont on a l'impression à la fin de connaître l'intérieur par coeur. Avec derrière l'idée de dépeindre une névrose. Celle d'une veuve qui sous une apparence de normalité ne se remet pas de son deuil.
Le film se passe uniquement en bruits ambiants, avec des plages de silence terribles. Pendant qu'elle exécute toutes ses tâches comme un automate, le visage impassible, Delphine Seyrig transmet tout de même quelque chose sur l'aliénation. On ne peut que deviner la vie intérieure du personnage derrière la façade. L'interprétation n'était pas évidente pour une actrice aussi renommée, et si elle vire parfois au procédé, les ruptures de rythme sur de petits incidents (un bout de patate qui tombe, le tablier qui s'accroche au coin de la chaise...) fonctionnent bien.
(A noter que si je regarde en moi avec honnêteté, j'avais un plaisir un peu pervers à voir cette créature de rêve faire des tâches ménagères dans un environnement décrépit).
Et puis, il y a la fin. Une journée frustrante, la boîte à timbre est fermée, on ne retrouve pas le bouton pour réparer un manteau, un client sans poser problème entraîne une étrange réaction. Et brusquement Jeanne Dielman prend les ciseaux qui trainaient sur la console et frappe son client à la gorge. Le dernier plan, terriblement étiré, la montre prostrée dans sa salle à manger, à regarder le vide, l'air pensive.
Cette fin, en introduisant un élément perturbateur, est presque de trop.
Un film-limite, donc, pour tester votre résistance à l'ennui, mais qui délivre un message sur l'aliénation de la femme dans les tâches ménagères (entre autre). Il vaut le détour, à voir une fois pour ce parti pris sans concession.