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Présenté en ouverture du 76ème Festival de Cannes, JEANNE DU BARRY, sixième long-métrage de Maïwenn, suscitait déjà une agitation en bouche avant même qu’il ne soit gouté. Si une aura de polémique(s) trônait au-dessus du film, il n’en reste pas moins une œuvre étonnante, sagement culotée, mais toujours coincée un peu le cul entre deux trônes.

Faisons taire tout de suite les mauvaises langues. Non, JEANNE DU BARRY n’est pas la catastrophe mégalo-cintrée que l’on aurait pu présager. Bien au contraire. Sincère est cette déclaration, non par peur de voir Maïwenn débouler derrière l’auteur de ces quelques lignes pour lui cracher au visage ou lui tirer quelques mèches de cheveux, mais bien parce que JEANNE DU BARRY n’a pas que du désagréable à nous proposer. Dans ce miroir historique que Maïwenn se tend, l’autoportrait tient de la réinvention. Cette Jeanne Du Barry, c’est un peu elle, et elle le revendique clairement. Et c’est peut-être là que le malaise vient poindre. Dans son traitement « fabulé » de la dernière favorite de Louis XV réside l’ombre de la persona de Maïwenn, tout autant que sa fantaisie. Si cela apporte une touche joyeusement ridicule à l’ensemble de l’édifice, nul doute que le film en vient à être contaminé par un contexte plus large, notamment par les prises de position bancales de la cinéaste.

« C’est grotesque. Non, c’est Versailles. » La réplique fait mouche puisque Versailles sied bien aux chevilles de Maïwenn. Le grotesque aussi. Néanmoins, JEANNE DU BARRY marque une bifurcation notable dans le cinéma de Maïwenn – et c’est tout à son mérite après l’affreux ADN et le tout aussi exaspérant Mon Roi. Mais le virage n’est qu’apparent, car sous cette faste couche de perruques et de dorures, Maïwenn continue de se (la) raconter, et ce désormais, avec les exigences d’une grosse production (plus 20 millions d’euros de budget) ; en mode pastiche de Barry Lyndon – entre plans cliniques et voix-off surplombante – qui rencontrerait un bien fade Cendrillon. On imagine aisément son fantasme ultime s’accomplir lorsqu’elle défile au milieu de ces immenses glaces et de ces nombreuses courbettes. Toutefois, l’égocentrisme notoire de l’actrice-cinéaste se fait moins ressentir dans cette mise à distance historique qui opère un pas de côté vis-à-vis de ses précédentes (auto)fictions. Les codes du film à costumes 18ème, et tutti quanti, lui imposent une certaine retenue, et c’est tout à l’avantage de celle dont la réputation incorpore une certaine propension aux émotions exacerbées et au trop-plein. De l’excès, Maïwenn s’applique à le maroufler sur chaque décor, dans la grandeur de la reconstitution autant que dans cette mise en scène qui voudrait tutoyer celle des plus grand.e.s sans jamais y parvenir.

Tout le monde s’est appliqué à faire de JEANNE DU BARRY un film « appliqué ». Alors oui, on ne passe pas un moment désagréable mais l’ensemble est malheureusement bien oubliable. Gentiment figé dans son costume académique, tout est soigné et parfaitement ordonné. On se surprend même à se délecter de quelques plans savoureux, finement composés et éclairés. Sans pour autant atteindre le génie d’un Kubrick. Néanmoins, et c’est là que le trouble s’immisce, la mise en scène semble constamment œuvrer contre la nature même du personnage que dépeint Maïwenn. Un personnage d’une vitalité extraordinaire, « punk » d’une certaine manière, mais qui ne provoque jamais de bousculades formelles. On est bien loin de la stylisation rock de la Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Tout est bien trop rigide ici pour épouser la folie libertaire et l’ascension amorale de cette Jeanne Du Barry. Où est la liberté là-dedans ? Jamais Maïwenn ne semble exploiter la force de son personnage si ce n’est pour se créer un piédestal baroque.

Si elle évoque son parcours de transfuge de classe (du peuple à la royauté), cette question importe finalement peu. Anecdotique car Maïwenn n’est pas Annie Ernaux. Elle parvient même à dépolitiser cette cour qui tient plus du conte de princesse que d’un pamphlet antimonarchique – en témoigne cette très lointaine Révolution qui ne fait ici pas plus de bruit qu’un pet de mouche. Il serait coutume de dire que quand le monarque chie, Maïwenn ramasse. Mais ce serait tout de même faire preuve de mauvaise foi. Toutefois, jamais elle ne vient interroger ce système royal où les femmes sont rejetées du pouvoir et où la cour royale impose un protocole et des contraintes qui emprisonnent aristocrates, courtisans et courtisanes dans un jeu de fausseté vaudevillesque. Si Maïwenn semble esquisser quelques piques acidulées sur cette vie protocolaire et ces usages absurdes, cela ne dure qu’un temps avant que la folie des grandeurs n’éclipse cet aspect bouffon.

On peut alors penser que la mise en scène rigide, à distance des personnages, se place en critique de cet environnement où tout doit être à sa place et où l’on refuse le sentiment. Mais justement, l’entrée de Jeanne Du Barry dans cette fourmilière de tenue devrait amener heurts et désordre, autant au décorum qu’au cadre lui-même. Ce ne sera pas le cas. La potentielle ironie de cette mise à distance résiste alors mal face aux contradictions qui peuplent JEANNE DU BARRY. Le contraste est troublant entre l’écrin du film et le mouvement du personnage qui tente de le mettre à mal, voire à le fissurer. Jamais il n’y aura d’évolution dans le parcours de Jeanne, jamais de coup porté à cet univers dont on accepte finalement les règles et les codes bien facilement. Peu de focalisation aussi au final sur ces jeux de pouvoir et ces rapports de force qui font les coulisses de Versailles ; et c’est bien dommage. Pire encore, dans cette logique ambivalente, JEANNE DU BARRY s’impose comme un film à la fois moderne et profondément à rebours des luttes féministes. A rebours, puisque le traitement qu’elle réserve à l’ensemble de ses personnages féminins secondaires est assez inquiétant par rapport à celui des personnages masculins. C’est peut-être une question de point de vue, qui sait. Effectivement, on notera que les femmes œuvrent à la chute de Jeanne quand les hommes l’accompagnent dans son ascension. C’est donc cela l’adoration du mâle en mode parfum Sauvage ?

A ce sujet (ou plutôt à ce roi), Johnny Depp, dont le choix au casting a suscité moult débats, apparaît convaincant en monarque coquin. S’il faut d’abord se faire à l’accent, il insuffle au personnage une mélancolie, un silence énigmatique, une figure insaisissable où les émotions s’entrechoquent (ou s’effacent). Taiseux, il apparaît presque « absent » (ou « perdu » selon l’appréciation) dans son interprétation et contribue au trouble qu’entretient le film ; si bien qu’on en vient à se demander si ce n’était pas son fantôme qui était présent sur le plateau. Dans cette riche distribution, notons au passage la formidable interprétation de Benjamin Lavernhe qui surnage au milieu d’un océan de « mouais ». Car oui, on cabotine beaucoup, mais ce, sans jamais trop de déplaisir. Notons aussi que le traitement que réserve Maïwenn à sa Jeanne Du Barry a tendance à engloutir tout le reste et à faire de l’ombre aux autres protagonistes qui ne semblent être là que pour l’illuminer davantage. Peut-être aurait-elle mieux fait de laisser le rôle-titre à une autre ; mais l’engagement visible de Maïwenn en reflet de Jeanne donne aussi cette saveur particulière au film.

Aucun naufrage à l’horizon, c’est déjà ça. Mais pas non plus l’ombre d’une révolution. Inoffensif, JEANNE DU BARRY s’enfonce parfois dans le manichéisme – et le classicisme – et ne parvient jamais à susciter une réaction passionnée. On parvient étrangement à s’embarquer dans l’aventure, peut-être parce que la sincérité de Maïwenn dépasse ici son apparente vanité. Si l’absence de profondeur pour un film qui n’a pas grand-chose à dire n’étonne guère, on peut néanmoins s’étonner de choix contre-productifs de narration ou de mise en scène qui nuisent au cœur même de JEANNE DU BARRY. En somme, Maïwenn semble avoir autant le goût pour les faits que pour l’effet, et se place dans une position d’entre-deux assez déconcertante. Les images sont belles, le rythme tenu, le film appréciable ; mais certainement pas de quoi sortir la couronne (ni de laurier ni d’épines). Maïwenn rêve-t-elle de lits à baldaquin ? Peut-être. Heureusement, elle a le sens du romanesque avec elle. Car le reste demeure discutable. Tout au plus une coquetterie, fragile et attaquable, sans éclat mais pas sans intérêt. Désolé Maïwenn, mais notre courbette sera bien timide face à ton JEANNE DU BARRY. Et c’est en tournant le dos et en claquant nos talons que nous nous éclipsons.

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blacktide
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le 30 mai 2023

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