Si Versailles était dompté
En ces temps complexes où l’urgence souvent bien violente de l’actualité vient s’immiscer dans des œuvres supposément intemporelles, il faut faire abstraction de bien des éléments pour tenter...
le 17 mai 2023
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Quand j'avais appris sur Internet, à propos du biopic, critiqué ici (pardon, défoncé ici !), sur Jeanne du Barry, que Maïwenn allait diriger Johnny Depp pour incarner, en français, le rôle du monarque français, Louis XV, je m'étais dit ce propos d'une flamboyance insensée : "Niai guoi ?". Et force de constater que ce n'était peut-être pas un si mauvais choix que cela... enfin, disons, que c'est intéressant et pas injustifié. Il a certes un accent, tout en maîtrisant bien la langue de Molière, se montre (trop !) peu expressif, mais son charisme et sa dimension de star internationale le distinguent du reste de la distribution, le mettent au-dessus (ce qui fait qu'il ne souffre relativement pas trop du problème que je vais souligner dans les trois paragraphes suivants !). Et, symboliquement, ça colle très bien étant donné qu'il joue le Roi. Bon, c'est sûr que son nom sur l'affiche est essentiellement un argument marketing pour pousser le plus de gens possible à regarder le film dans le monde ; on ne va pas se le cacher.
Par contre, je ne vais dire aucun bien (ou, du moins, essayer de me tempérer !) sur Maïwenn, en actrice principale dans le rôle-titre. Bon, déjà, la vraie du Barry était bien plus jeune (et, "mode beauf" activé, bien plus jolie !) quand elle a été introduite au vieillard désabusé et libidineux (attiré par la chair (très !) fraîche !), au crépuscule de son existence, qui dirigeait alors le pays. Oui... oui... oui..., je vous entends me dire que l'on est plus à cela près dans un film avec un roi français ayant un accent amerloque... je m'explique... je m'explique... Ensuite, quelle gentillesse, quel amour, quelle tendresse, quelle perfection que cette Jeanne du Barry, victime des filles du roi (sauf la cadette, Louise !), belles-sœurs de Cendrillon puissance 10000, avec une laideur ainsi qu'un ridicule bien accentués (bon, OK, c'étaient loin d'être des anges de bonté, mais le trait est tellement outré que ça vire à une caricature anéantissant toute crédibilité !). Et quelle maîtresse avec un cœur explosant de bonté envers son serviteur noir, Zamor. Oui, parce que, contrairement aux méchantes progénitures féminines royales, du Barry n'est pas raciste (la réalité était tout autre et bien moins belle !).
Oui, oui, oui, oui, d'accord, ce n'est pas un documentaire. C'est une œuvre de fiction qui a le droit de s'éloigner de l'Histoire avec un grand H. Je n'ai absolument aucun problème avec cela. Aucun. Ce n'est pas cet aspect des choses qui me dérange ici. Ce qui me dérange ici, c'est qu'en faisant cela, Maïwenn (elle, pas son personnage !) se fout constamment en valeur, toujours sous une lumière positive, sans la moindre nuance de complexité. C'est l'impression qu'elle m'a laissée. Elle ne se soumet pas à son rôle, c'est elle qui soumet le rôle à son égo. Ben, ouais, la complexité aurait attiré l'attention sur la du Barry et pas sur Maïwenn. Du fait de la transformation de la jeune femme en quelqu'un de lisse jusqu'à en être insipide, on ne se soucie plus du personnage et on est obligé de se rabattre sur la comédienne.
En outre, au détriment des seconds rôles (sauf l'excellent Benjamin Lavernhe, car il a beaucoup de scènes communes avec la comédienne-réalisatrice ; résultat, il est plus épargné contre les conséquences du narcissisme de celle devant et derrière la caméra… !) et du film lui-même, elle monopolise un maximum de temps de présence. Le point d'orgue est quand son personnage est nommé favorite. Elle fait durer la séquence des plombes, au cours de laquelle la comtesse (donc elle !) s'incline trois fois devant son royal amant. J'ai eu l'impression, sur le coup, que Maïwenn avait tourné trois prises à la suite et qu'elle avait oublié d'en enlever deux au montage, tellement elles sont identiques, tellement ça sort de nulle part, tellement le spectateur avait compris dès la première révérence qu'il y avait une attitude provocante n'ayant pas besoin d'être dupliquée.
Pour en revenir aux personnages secondaires, ils ne sont pas du tout creusés, comme le mari qui a donné son nom à particule (tiens, la cinéaste nous balance un moment lors duquel le monsieur se montre violent à l'égard de sa future épouse pour la raison que... pour la raison que... eeeeeeeeeuuuuuuuuuuhhhhhhh... ah ben, oui, une victime de violence, ça force la sympathie, ça la rend encore plus positive, encore plus sans reproche !) à une "fille de rien", comme la mère de cette dernière, qui auraient pu approfondir le portrait psychologique de cette parvenue au sommet lors de son ascension. Et pourquoi avoir pris Pierre Richard en Richelieu (le duc, pas le cardinal !) si ce n'est pour rien en faire.
Point de vue mise en scène, le 35 mm est un choix pertinent vu qu'il souligne la grandeur des décors (et avec le château de Versailles, on ne peut pas être mieux servi !). Cela lorgne vers Barry Lyndon (sans en atteindre la splendeur, notamment parce que le grain d'image est plus conventionnel, bien plus éloigné des couleurs des peintures de maître du XVIIIe siècle !), avec ses compositions se voulant proches des tableaux de l'époque, avec quelques zooms (utilisés fréquemment par le génial Stanley Kubrick dans son immense chef-d'œuvre pour renforcer le côté plat de ses plans et injecter la sensation de contempler des toiles !) ainsi qu'avec une voix-off assurée par un narrateur omniscient.
Autrement, il y a quelques scènes avec Johnny Depp qui se terminent abruptement ; ce qui est peut-être dû aux limites d'un acteur dans une langue avec laquelle il n'est pas habitué à jouer. Et moments chipotages (oui, c'est que dalle à côté de tous les défauts que j'ai énumérés précédemment !)... je doute qu'une cuisinière amenant sa fille au couvent porte son costume de travail pour la circonstance... pourquoi l'avoir en dehors de ses heures devant les fourneaux (oui, si on fait abstraction de la voix-off, il n'y a rien avant qui prend le temps de mettre en avant que la mère exerce cette profession ; ce qui fait qu'on a le droit à cette maladresse incohérente !). Et une fève qui vient d'être sortie d'une galette des rois n'est pas toute propre, elle a inévitablement quelques traces de frangipane sur elle.
Ouais, globalement, au lieu de pleinement profiter à fond et en profondeur du sujet d'une personnalité historique fascinante, de son casting, Maïwenn préfère s'admirer dans un miroir. Elle aurait dû tourner intégralement dans la galerie des Glaces. Je suis sûr qu'elle aurait kiffé.
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le 17 mai 2023
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