À la fin de Jessica forever, entre soupirs d’extrême lassitude et exclamations de joie (joie parce que ce truc est enfin terminé), tu te dis que tu n’aurais pas voulu être ami avec Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Non pas que ces deux-là doivent être antipathiques, voire infréquentables, simplement tu n’arrives pas à imaginer une seconde comment leurs proches ont dû faire pour déjouer, pour se dépêtrer d’un tel piège, invités sans doute à la projection du film et découvrant, navrés, le navet pour ensuite être obligés de leur dire, en faisant montre d’une diplomatie exemplaire, ce qu’ils en ont pensé sans les blesser ni avouer l’effroyable vérité.
Euh, j’ai beaucoup aimé les éclairages… Elle a un visage très dans la révolte l’actrice là… C’est un film qui vous ressemble tellement… Moi aussi j’ai aimé les… éclairages, c’est ça ?… Quelqu’un a déjà parlé des éclairages ou quoi ? Certes, l’amitié requiert une certaine dose d’honnêteté mêlée à un soupçon de compromission, mais là tu n’aurais pas voulu être un de leurs amis et devoir leur mentir, devoir trouver des excuses parce que tu ne peux décemment pas leur balancer, les yeux dans les yeux et alors que les lumières se rallument et que les spectateurs se réveillent autour de toi, que leur film est une véritable merde.
Vendu par une grande partie de la critique comme un objet cinématographique fascinant et quasi révolutionnaire (la palme du foutage de gueule aux Cahiers du cinéma qui, dans la bande-annonce, vantent le film comme l’un des plus attendus de l’année pour ensuite le descendre en flèche), Jessica forever est pourtant un bidule ni fait ni à faire, raté de bout en bout et à tous les niveaux. Pas un seul des partis pris des réalisateurs ne fonctionne : des dialogues (creux) réduits au minimum mais semblant davantage traduire chez eux un manque d’inspiration et une impossibilité à correctement construire un scénario, un rythme mal fichu, une linéarité banale, le charisme mou de la plupart des acteurs (et l’approximation de leur jeu), une photographie fade et sans relief, des effets spéciaux cheaps, des décors jamais utilisés ni filmés à bon escient (résidences pavillonnaires, île nimbée de soleil, nature protectrice…), une mise en scène absolument quelconque, une émotion et une empathie aux abonnées absentes.
Pourtant on aimerait le défendre, ce bidule, en dire du bien parce qu’il s’écarte des chemins de traverses habituels et rejette pas mal de canons commerciaux français dont on a fini par se lasser. Et parce que l’histoire est suffisamment intrigante pour appâter le cinéphile intrépide que tu es, soit une bande de garçons violents en mode génération perdue, traqués par une société ultra-sécuritaire et recueillis par une femme-louve aux yeux bleus (Aomi Muyock, échappée des fantasmes moites de Gaspar Noé) qui les bichonne, les guide et les protège (des autres et d’eux-mêmes). Mais Poggi et Vinel n’en font qu’un objet faussement arty, incapables d’en magnifier les idées (narratives comme esthétiques) et l’affublant d’un message lourdaud croulant sous trois tonnes d’une bien piteuse naïveté.
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