Jofroi
7.4
Jofroi

Film de Marcel Pagnol (1934)

Pour son second film (1934), Pagnol n'aura pas attendu que le temps passe avant d'adapter Giono, son contemporain. Sans être un grand optimiste non plus, son cinéma est plus léger que l'écriture de Giono. S'il mettra souvent en scène des personnages au cœur noir pour y chercher l'humanisme caché au plus profond de leurs actes condamnables, il trouve matière avec la nouvelle Jofroy de la Maussan, (solitude de la pitié 1932) de mettre en exergue les rapports humains qu'il affectionne en revoyant le texte à l'optimisme. Pagnol qui privilégie les échanges à hauteur d'hommes rend cette confrontation plutôt comique que tragique, mais rend hommage à son auteur quand Jofroy parlera des arbres, de ces vieilles personnes qui ont bien le droit de mourir tranquille, de ces fadas qui n'en font qu'à leurs branches et de cette nécessité de laisser la place à tous. Les deux artisans que sont Pagnol et Giono se complètent dans leur regard et leur amour à leur pays, tout en étant eux aussi différents dans leur approche, mélancolique pour l'un et au cinéma lumineux, à la noirceur de l'autre, adepte d'une certaine monstruosité des hommes, malgré leur commune bienveillance à leur égard.

Offrant à son ami Scoto le premier rôle et tourné en décors naturels à la Treille, village du cinéaste, un portrait du monde paysan pour en saisir a minima, le lien et la fluidité et nous remettre en mémoire cette anticipation bien sombre de Giono, où seuls risqueront de rester les arbres, témoins muets de notre délitement.

On retrouve chez Pagnol le curé du village, parfait orateur et le féminin plutôt criard, où ces femmes effacées, ne s'en laissent pourtant pas compter, en regard de ces hommes souvent plus pragmatiques, aux accents immersifs et au jeu d'acteur irréprochable. Le plaisir de retrouver ce travail si attentif sur les dialogues ciselés -moins marquant qu'à l'accoutumée- si ce n'est un humour toujours présent par les effets rebonds. On retrouve pour Giono celui de l'environnement dans un même attachement à la terre, où l'arbre si cher à l'écrivain, sera l'objet de la dispute de Jofroy et Fonse, en désaccord sur la gestion d'un verger moribond.

Exit les grands enfants du bistrot et leurs éclats de rire noyés dans les tournées de pastis, mais le ton reste au décalage par les multiples tentatives de chantage de Jofroy. Car s'il a vendu son terrain notre vieillard ne veut pas qu'on lui coupe ses arbres fruitiers, sans vouloir pour autant rendre l'argent. C'est alors la solidarité des villageois comme un seul homme malgré que Jofroy mènera la vie dure à Fonse et à tout le village. Chacun de se perdre en conjectures, prêt à éviter le pire quitte à le surveiller et le supporter jusqu'au désespoir. D'un toit où il ameutera tout le quartier, d'une pendaison à la recherche d'un arbre qui ne lui appartient pas, ou d'une route un peu trop fraîche pour y rester allonger et attendre la voiture assassine, le bon sens mettra toujours un terme aux velléités de suicide de notre homme.

Et si le verger doit laisser la place au travail de la terre et à la survie des hommes, Fonse gardera quelques reliques fruitières par compassion envers celui qui finalement mourra d'un arrêt cardiaque non commandité.

Dommage alors que la qualité de la pellicule laisse à désirer, floutée et aux sons parfois peu audibles, ce sont aussi très peu de décors extérieurs sans l'ouverture des espaces qu'on lui connaît. Il faudra attendre encore un peu, pour apprécier ses beaux contrastes à venir, ses décors campagnards vierges pour profiter de son cinéma et de notre nostalgie.

limma
7
Écrit par

Créée

le 17 déc. 2022

Critique lue 88 fois

6 j'aime

3 commentaires

limma

Écrit par

Critique lue 88 fois

6
3

D'autres avis sur Jofroi

Jofroi
Boubakar
8

En souvenir de Jofroi.

Jofroi est un vieil homme qui a vendu son verger à un paysan, mais celui-ci refuse que le nouveau propriétaire arrache les arbres, qui ne produisent plus rien, au profit de la semence de blés. Pour...

le 15 nov. 2020

8 j'aime

3

Jofroi
Bodyglove
8

Une comédie Pagnolesque porté par Scotto

Inutile de rentrer dans de grands débats sur les films de Marcel Pagnol. Si vous êtes ici (Félicitations, vous n'êtes pas nombreux à venir jusqu'ici), vous devez un minimum connaître les oeuvres de...

le 29 oct. 2013

8 j'aime

Jofroi
limma
7

Critique de Jofroi par limma

Pour son second film (1934), Pagnol n'aura pas attendu que le temps passe avant d'adapter Giono, son contemporain. Sans être un grand optimiste non plus, son cinéma est plus léger que l'écriture de...

le 17 déc. 2022

6 j'aime

3

Du même critique

Apocalypto
limma
10

Critique de Apocalypto par limma

Un grand film d'aventure plutôt qu'une étude de la civilisation Maya, Apocalypto traite de l’apocalypse, la fin du monde, celui des Mayas, en l'occurrence. Mel Gibson maîtrise sa mise en scène, le...

le 14 nov. 2016

76 j'aime

21

Captain Fantastic
limma
8

Critique de Captain Fantastic par limma

On se questionne tous sur la meilleure façon de vivre en prenant conscience des travers de la société. et de ce qu'elle a de fallacieux par une normalisation des comportements. C'est sur ce thème que...

le 17 oct. 2016

60 j'aime

10

The Green Knight
limma
8

Critique de The Green Knight par limma

The Green Knight c'est déjà pour Dev Patel l'occasion de prouver son talent pour un rôle tout en nuance à nous faire ressentir ses états d'âmes et ses doutes quant à sa destinée, ne sachant pas très...

le 22 août 2021

59 j'aime

2