Il y a des jours où tu te demandes pour quelles raisons tu ne vois pas plus de films d’un cinéaste alors que les différents aperçus que tu as eus de sa filmographie t’ont marqué par leur intelligence. C’est mon cas avec Robert Altman dont sa vision acérée d’un Hollywood gangrené m’avait remué dans The Player. Mais c’est surtout la finesse de sa représentation de la société américaine qui m’avait bouleversé dans son chef d’œuvre Short Cuts. Et John McCabe ne déroge pas à la règle tant le film m’a mis une petite baffe à tous les niveaux. La première qualité marquante qui saute littéralement aux yeux pour le coup est cette photographie incroyable, véritable peinture orchestrée par le regretté Vilmos Zsigmond qui dégage une atmosphère particulière selon les lieux où l’action se situe. Les scènes d’intérieur dégagent notamment quelque chose de très envoûtant, comme si une sensation de chaleur envahissait toute la pièce qui est filmée. Les extérieurs sont au contraire froids, bruns et sales, conférant à la scène un aspect hostile dans lesquels l’humain médiocre patauge, s’enlise. Formellement parlant ce film est un véritable bijou mais il n’y a vraiment pas que ça.
La mise en scène notamment n’est vraiment pas en reste, l’ensemble étant filmé tout en maîtrise et surtout tout en finesse. Je veux dire par là que Robert Altman ne va jamais surligner sa scène de manière lourdingue, beaucoup d’idées et d’enjeux passent par l’implicite, par les non-dits. Et c’est ce qui rend cette relation entre McCabe et Mrs Miller aussi belle car elle respire l’authenticité, le vrai, rien que par l’écriture des personnages et par la façon de mettre en scène leurs interactions. La déception qui se lit dans le regard de McCabe quand il apprend que Mrs Miller est avec un client peut servir d’exemple pour illustrer ce propos. Il n’y avait pas besoin de rajouter un dialogue explicatif, tout passe par l’image, la direction d’acteurs et c’est tout simplement brillant.
Et quelles prestations pour incarner ces personnages, le tandem Beatty-Christie est tout simplement excellent. C’est d’ailleurs dingue de voir à quel point le jeu de l’actrice a évolué depuis Dr Jivago où je trouvais que son interprétation mécanique était le point faible du film. Ici c’est tout l’inverse, elle sait rendre son personnage indépendant et fort. Une femme entreprenante, courageuse, avec du caractère et un charme dingue. Une vraie femme quoi ! Et cette relation entre les deux personnages principaux est passionnante à voir évoluer avec cette rivalité aussi intense que leur attirance mutuelle. Mais elle est aussi dramatique de par son aspect irrémédiablement superficiel, monnayé et finalement sans véritable avenir. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le titre du film est ainsi puisque les enjeux reliés aux deux protagonistes principaux sont très passionnants et illustrent à merveille la complexité des interactions humaines.
Mais le film ne s’arrête toutefois pas là en arborant aussi une toile de fond sur la fin d’une époque ainsi que sur la fin annoncée d’un genre cinématographique : le western. L’industrialisation est galopante, la voiture fait son apparition et la figure de l’homme de l’ouest devient obsolète, comme broyée par l’arrivée fracassante de cette nouvelle ère. Idée véhiculée aussi à travers le personnage de McCabe qui est précédé d’une réputation de fin tireur alors qu’il n’est qu’un sombre couard qui se retrouvera pourtant confronté à son destin absurde. C’est bien là le grand drame en sous-texte de ce film, le progrès avance et les hommes sont condamnés à disparaître gratuitement, subitement et sans que l’Histoire ne les retiennent. A ce titre le final est aussi amer que superbe. Robert Altman aura frappé fort avec ce film qui brille sur tous les aspects et propose une relecture intelligente du genre. Sans oublier ces magnifiques compositions de Leonard Cohen, d’une grande beauté apaisante mais surtout d’une profonde tristesse. McCabe and Mrs Miller est une œuvre brillante et à (re)découvrir absolument.