A trouble maker
Je ne suis pas un admirateur de la Nouvelle-Vague. Ni des films qu'ils ont faits, ni des choses qu'il sont pu écrire. Cependant, une des rares fois où je suis tombé d'accord avec ces brigands de...
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le 31 janv. 2018
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Avec la séquence d’ouverture où un cavalier, joué par Sterling Hayden, traverse un col une guitare sur le dos tandis que des pans de montagne explosent au-dessus de lui, puis jette un oeil flegmatique en contrebas sur une attaque de diligence et passe son chemin, on se prépare à déguster un excellent opus de Nicholas Ray en Trucolor, lequel est un procédé encore plus saturé de couleurs chaudes que le Technicolor habituel des années 50, celui qu’on apprécie déjà énormément pour cela.
Mais ensuite nous devons survivre un bon quart d’heure pendant la présentation des personnages, très artificielle. Dans un saloon stupéfiant, original, une sorte de petit casino troglodyte isolé dans la nature - visuellement réussi - se succèdent des interactions emphatiques et des dialogues théâtraux entrecoupés par les poses décalées de la tenancière.
Elle est jouée par Joan Crawford, à la fois masculine, hautaine et les yeux écarquillés, dans une de ses nombreuses tenues qui essairont en vain de lui donner plus de féminité. Et nous sommes médusés par la haine surjouée que lui voue Dolores McCambridge, grimaçant pour évoquer une femme jalouse et sexuellement frustrée.
Après quoi, cette ambiance va persister en sourdine pendant tout le film. Malgré tout, on supportera cette atmosphere car elle n'empêche pas les péripéties d’un bon western d’action de s’enchainer avec vivacité.
Le personnage de Johnny Guitar est d'abord peu crédible car il se présente à la fois comme un baleze mais sans armes et musicien, comme un dur à cuire mais pacifiste. Il s’avère ensuite être Johnny Logan, un tireur d’élite rangé mais prêt à en découdre, et à prendre le dessus sans coup férir si on le provoque. Le paradoxe de ce film culte est que dans la première partie, la mièvrerie d'un Johnny Guitar prétendument désarmé, bien suggéré par le titre, semble moins réaliste que le cliché du western, le héros maitre du revolver, stéréotype assumé dans la seconde partie.
La dramaturgie s’améliore donc avec la progression de l’histoire, notamment pour les évolutions entre les personnages masculins : contradictions, oppositions, rivalités, loyautés, trahisons, peurs, arrogance, capitulations, sursauts moraux...
Pas seulement d’ailleurs entre les principaux rôles (les deux rivaux joués par Sterling Hayden dans le rôle de Johnny Guitar et par Scott Brady dans le rôle du Dancin' Kid) mais aussi tous les seconds rôles. Il y a de ces évolutions-là dans chacun des groupes en conflit : dans la bande des quatre mineurs poussés à devenir voleurs de banques ; dans le posse (la milice) avec notamment l’opposition entre le marshal légaliste (joué par Royal Dano) et le shérif influencé par la foule (joué par Ward Bond), etc.
Pour ce qui est des femmes, malgré l’étrangeté presque spectrale de Joan Crawford, la romance vous emporte par moments, ou bien la compassion vous émeut. Mais le plus souvent, une réplique de l'actrice, ou une de ses attitudes qui vise à exciter la rivalité des hommes vous refroidit.
Pourtant, une scène avec elle est extraordinaire. Sa tenue blanche quand elle joue du piano devant les lyncheurs est à la fois ridicule et magnifique. Ridicule car on sent que Nicholas Ray veut maintenir dans cette scène une composante réaliste qui s'avère impossible ; et magnifique car il ne renonce pas à la poésie insolite qui caractérise l'ensemble du film. On dirait alors que, sur l'estrade du saloon, c’est comme si une étrange robe, blanche et musicale, cinglait la troupe en noir qui s’approche d’elle en un cercle malveillant.
On est épaté aussi par la mise en scène d'un autre passage : la transformation rapide des villageois, d'abord recueillis au cimetière et tous élégamment vêtus de noir, en une milice à cheval de corbeaux surexcités et lyncheurs. La chorégraphie des mouvements collectifs et de leurs hésitations internes est très réussie.
Cet entre-deux mi-réaliste mi-fantastique semble être un choix de Ray et non de la confusion, mais dans la plupart des scènes - sauf celles-ci donc à mon avis - les deux niveaux, poétique et réaliste, se heurtent de manière gênante, ou bien ils se succèdent d’une séquence à l’autre sans cohérence de ton. Le plus souvent, il n’arrive pas à les composer ensemble avec harmonie comme cela est réussi dans ces deux scènes.
Ajoutons que ceux qui aiment les couleurs flamboyantes dans les paysages, les intérieurs et les costumes ne seront pas déçus : comme dans Party Girl, c'est une des marques de Nicholas Ray, à laquelle Wim Wenders rendra hommage avec son chef op Robby Mueller dans The American Freund, l'Ami Americain.
Le gunfight final au revolver dans une baraque au sommet de la montagne est original puisqu‘il opposera principalement les deux femmes rivales et non deux hommes.
Au bout du compte, ce film n’a pas volé son statut de "film culte » et les spectateurs dans leur diversité y trouvent leur compte. Même les prestations des deux femmes, qu’on déplore par moments car elles sont surjouées, s’intègrent au film de manière acceptable par leur bizarrerie même.
Et la splendide chanson de Peggy Lee qui clôture le film réhabilite la vérité sur la magnificence des femmes, ce qui nous subjugue tellement - ce que Joan Crawford n’arrivait pas à illustrer, malgré l’évidence du projet de Nicholas Ray.
(Note de 2020 publiée en nov. 2024).
Créée
le 20 nov. 2024
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