Malgré la grosse campagne de communication et les grands noms qui entouraient le projet (De Niro, Scorsese, Phoenix), Joker partait avec deux gros handicaps. Donner une origin-story à un personnage qui puise sa force dans le flou total entourant sa folie, et se frotter à la performance XXL dont avait fait preuve le regretté Heath Ledger dans The Dark Knight. Le tout en donnant au personnage du Joker ce qu’il n’avait jamais eu auparavant: le premier rôle. Seulement, depuis la Mostra où il a gagné son Lion d’or, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un chef-d’oeuvre à mettre au pinacle des descentes aux enfers cinématographiques... Tout comme Parasite, l’engouement et la récompense ultime sont-ils mérités?
Il faut reconnaitre qu’il y a un vrai effort de fait sur l’ambiance visuelle du film. Que ce soit dans son format étouffant ou la photographie terne de Lawrence Sher, tout est réuni pour faire transpirer de crasse cette ville puante aux habitants nauséabonds... Tout le monde est vil et cruel, laissant présager le futur Gotham gangréné des comics. Cependant nous y suivons un personnage recourbé sur lui-même, semblant porter le poids du monde sur ses épaules: Arthur Fleck. Véritable clown triste et solitaire rêvant de faire carrière dans le stand-up, il verra ses illusions et sa confiance mises à rude épreuve. Le plus “beau” symbole de cela reste l’image des escaliers qu’il monte péniblement tous les soirs. Réelle métaphore d’ascension sociale dont la mise en scène suggère un aspect infranchissable, un mur, un Everest impossible à gravir. Cela changera radicalement à la fin puisqu’Arthur Fleck, comprenant ce sommet comme impossible, décide de le descendre quatre par quatre, faisant également un écho à sa chute dans la folie meurtrière que nous connaissons tous. Nonobstant ceci, le métrage s’autorise des fulgurances d’humour noir qui sont les bienvenues dans un univers aussi froid et glauque que celui-ci (je pense notamment à la scène de la chainette dans l’appartement de Fleck). Si cette scène, glaçante de sang froid, m’a fait rire (jaune?), Joaquin Phoenix y est bien sûr pour quelque chose!
Quelle performance! La folie n’est pas évidente à retranscrire au cinéma sans tomber dans le cliché ou la facilité mais là... Todd Philipps a fait un travail remarquable de direction d’acteur et d’écriture! Le rire du joker est glaçant, embarrassant par moments, triste même! Lors de ses envolées on ne voit plus la différence entre pleurs et fous rires, même s’ils sont tous deux symboles d’un profond mal-être. Et là le duo réalisateur/acteur arrive à nous procurer un sentiment que nous pensions impossible pour un tel personnage: de la pitié. De la pitié parce que c’est un homme détruit, rachitique, qui n’a pas pu profiter de sa vie et dont toute la confiance qu’il accordait à son entourage s’effondre petit à petit. De plus, Joaquin Phoenix a une réelle évolution dans son body-langage! Un regard fermé au bord des larmes lorsqu’il rit malgré lui, une posture courbée extériorisant une vie de malheurs, etc... Mais tout cela va être balayé lorsqu’il devient le Joker: plus de doute, plus de peine, il n’a rien à perdre! Un homme broyé par les rouages de sa société qui tourne mal et qui, pour la première fois de sa vie, possède une assurance déconcertante. Un peu à l’image de ces fameux escaliers qu’il descend en étant un autre homme jusqu’au magistral, bien que prévisible, climax de fin! D’ailleurs, difficile de ne pas faire un parallèle entre cette scène de chaos urbain et les récents épisodes de contestation en France, en Espagne et dans d’autres pays.
Joker est un très bon film et arrive à remplir plusieurs objectifs. Montrer qu’un réalisateur de comédies légères comme Todd Philips a tout de même un talent de metteur en scène! Montrer aux fanboys biberonnés aux Marvel que l’on peut faire un vrai film dans un univers de Comics (même si Nolan et Burton l’avaient déjà prouvé)! Faire prendre conscience qu’un acteur comme Joaquin Phoenix ne vient pas de percer mais qu’il a un talent énorme depuis vingt bonnes années! Il réussi même ses hommages à Taxi Driver, La Valse des Pantins et autre Dark Knight. Cependant, malgré toutes ces éloges, je dois reconnaitre une certaine facilité d’écriture pour les personnages secondaires que je trouve trop manichéens, on embrasse quand même pleinement le “tous pourris”... Quant à la descente aux enfers, certes bien mené et très efficace, le 7éme art en a connu des plus poisseuses (regardez Bad Lieutenant, Requiem pour un Massacre, Cruising, Irréversible, etc...). Alors film dors et déjà culte oui, chef d’oeuvre peut-être pas, seul le temps nous le dira!