Arthur Fleck est un homme souffrant de troubles mentaux qui vit de petits boulots pour subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de sa mère. Alors qu'il rêvait de devenir humoriste, il est méprisé par une société qui le considère comme quantité négligeable. Il se fera passer à tabac par trois yuppies en goguette un soir. Il perd son emploi et apprend ce qui s'est passé durant son enfance alors que Gotham city, en proie au chômage et à la misère s'enflamme...
Joker est un drame psychologique américain de Todd Phillips de 2019.
Attention, cette critique risque de vous spoiler
Oubliez tout ce que vous saviez déjà sur le Joker...
Avec Joker, Todd Phillips a quitté le monde des comédies américaines (Very bad trip...) pour le film de super vilain auteurisant, faisant ici la démonstration que l'on peut parler d'une figure du panthéon de DC Comics sans jamais donner envie de rire au public.
Ce préquel qui se passe dans le New York, rebaptisé Gotham, des années 80 raconte comment un "paumé un peu barré" rit quant il ne le devrait pas (à cause d'un trouble pathologique) alors qu'il est plongé dans une profonde tristesse. Agressé dans le métro, Arthur va se révéler à lui même par une réaction radicale dans un Gotham miné par la paupérisation de la plupart de ses habitants. Cette transformation douloureuse se fera en raison de la violence sociale qui le touche de plein fouet et des mensonges sur les mauvais traitements dont il avait été victime dans son enfance, au sein même de sa propre famille.
Dans Joker, le Joker n'est pas encore à la tête d'une armée de "gros bras" lui permettant de mettre en oeuvre ses projets criminels afin d'instituer le chaos. Le film rappelle l'univers de Scorsese (La valse des pantins, Taxi driver...) par son coté étude psychologique des ressorts de son personnage central tourmenté. Au fur et à mesure que l'on progresse dans l'intrigue, on mesure qu'Arthur est de plus en plus psychotique, aussi instable qu'une matière combustible, qu'il sera capable de tout jusqu'au dénouement final.
Todd Phillipps tisse de nouveaux liens entre le Joker et la famille Wayne. Thomas Wayne (interprété par Brett Cullen), le père de Bruce Wayne, n'a rien de sympathique. Il est représenté ici comme un type plein de morgue et dépourvu d'humanité, une figure quasi aristocratique qui surnage dans un monde qui s'enfonce dans les sables mouvants. A cet égard, le film est intéressant dans sa description d'une société inégalitaire qui sacrifie le plus grand monde en coupant dans les budgets de ceux qui s'occupent des plus fragiles comme Arthur. Cette fois, cela va leur revenir en pleine figure comme un boomerang...
Il est difficile de ne pas voir dans cette fiction le miroir de ce qui se passe dans le monde réel depuis les années 80. Il est probable que cette approche anti système séduise peu Outre Atlantique qui préfère les super héros bavards et body buildés des écuries Marvel et DC Comics. Ces personnages ont l'avantage de ne pas trop faire réfléchir et de ne rien remettre en cause.
Autre figure centrale du film, l'animateur de talk show, Murray Franklin (Robert De Niro) anime des émissions à succès dont l'objectif consiste souvent à se moquer de "têtes de turc". Il s'agit d'un individu cynique et sans scrupules, toujours prêt à ridiculiser son prochain pour de nouvelles parts d'audience...
Sur le plan de la réalisation, Todd Phillips a choisi des plans rapprochés sur le visage de ses personnages, une lumière crue, des couleurs saturées et une photographie "sale", l'ensemble concourant à entretenir le malaise visuel.
Joaquim Phoenix, the bloody smile
L'acteur effectue ici une prestation remarquable. Pour le film, il a perdu beaucoup de poids. Habité par son personnage et sa folie, il va doucement glisser vers la démence durant 1h40 avant une dernière demi heure de jouissance de violence apocalyptique.
Même dans cette version réaliste, je dois reconnaitre que celui qui devient lors du dénouement du film une icône du mal, se dessinant autour des lèvres un sourire mauvais avec le sang des blessures de son visage, debout sur le capot d'une voiture de police accidentée devant une foule qui l'acclame, a quelque chose de fascinant et de charismatique...peut être un signe du nihilisme de notre époque...
Pour conclure, Joker est un film réussi. Il jette un regard réaliste et humain sur le personnage de BD de 1940 inspiré du film L'homme qui rit interprété en 1929 par Conrad Veidt dans le film de Paul Muni.
https://www.google.com/search?q=conrad+veidt+l%27homme+qui+rit&client=firefox-b&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwjlt-fPtZHlAhUK1BoKHbjHBIsQ_AUIESgB&biw=1366&bih=608
Plus sérieusement, il explique en creux comment une société poussée à bout n'attend qu'une étincelle et qu'un fait divers pour déclencher le chaos, cette étincelle s'appelle le Joker.
J'ai lu que Todd Phillips n'envisagerait pas de tourner une suite alors que Joaquim Phoenix serait tenté....on le comprend.
Joker a remporté le Lion d'Or lors de la Mostra de Venise 2019.
Ma note: 9/10