A Dime for the Fool
Rarement un film ne m'a donné envie d'écrire une critique, car parler d'un film est toujours un exercice difficile. De mon point de vue, juger l'œuvre d'un artiste, sans être artiste soi-même, a toujours ce je-ne-sais-quoi d'illégitime. Joker, dernier film de Todd Philips, réalisateur dont je n'attendais rien, est un spectacle intelligent et arrogant, qui n'hésite pas à trop en faire en terme de photographie et de lumière, quitte à frimer un peu ; les décors respirent l'authenticité et l'ambiance sonore est remarquable. Joaquin Phoenix, qui avait déjà démontré tout son talent dans Her et The Master, interprète dans le Joker ce qu'on qualifierait de rôle d'une vie.
Plus qu'un spin-off ou qu'un one-shot à mettre de côté dans l'univers Batman, ce Joker est mon Joker, c'est le Joker de Frank Miller : un monstre ivre de vengeance, psychotique et nihiliste, incarnation de la décadence du monde, chef d'orchestre de la faillite morale de la civilisation occidentale. Je cherche, en vain, les traces du sous-texte que certains ont découvert dans les controverses et polémiques qui fleurissent dans la presse, car ce désenchantement incarné, s'il a tout du political statement comme on dit dans les cénacles clos et les milieux autorisés, il dépeint plutôt la fresque grandiose d'un consumérisme devenu fou, d'un monde sans âme qui passe à côté d'une vieille dame assise par terre dans la rue, qu'on ignore, les yeux rivés sur nos écrans, avec pour seule consigne de rire en communion, sans savoir pourquoi tout en sachant de quoi, contre du temps de cerveau disponible.
Le film se passe dans les années 80 mais aurait pu se situer en 2020. Si Instagram et les réseaux sociaux ont certes remplacé la télévision, nous marchons en rang sans prendre une minute pour glisser quelques pièces et quelques mots à cette vieille dame sans toit ni loi. Ce film parle des exclus et des marginaux, des oubliés de la société, de celles et ceux que le monde médical a laissé tomber, mais aussi de l'arrogance d'une élite qui parle de « ceux qui ont tout et de ceux qui ne sont rien » sans savoir ce que cela fait d'entendre des phrases comme cela, malgré toutes les bonnes intentions que ces personnes dont la réussite sociale n'est plus à prouver pourraient avoir. Joker est l'adaptation d'un livre qu'aurait pu écrire Victor Hugo.
The Pursuit of Happiness
Inlassablement, Happy tente d'être heureux dans un monde auquel il n'appartient pas et dans lequel il ne comprend pas les règles. Arthur Fleck est le désespoir d'un cheval fou qui galope à la poursuite d'un lapin blanc chimérique. Brutalisé par la famille d'abord, humilié par la société ensuite, Happy renferme dans un carnet ses démons qu'il cache derrière le masque d'un sourire forcé qui met mal à l'aise son entourage. Des violences de la vie, le rire est son couteau à double-tranchant. Arthur Fleck souffre d'une maladie : un rire nerveux quand il est angoissé.
Pourtant, malgré la désapprobation de sa mère, avec qui il vit encore, Arthur veut devenir comédien afin de faire rire et pleurer les gens, car le rire est son remède, son antidote et son poison… Dans sa quête du bonheur, le miroir qui le mettait à l'abris du monde extérieur se brise à la suite de rencontres plus foireuses les unes que les autres et de prise de décisions malheureuses ayant entrainé le drame qui se déroule devant le spectateur que je suis, amusé et terrifié des évènements qui s'enchainent, la boule au ventre et le sourire aux lèvres en même temps.
The King of Comedy
À l'exception d'une situation comique concernant une porte d'appartement, que je ne divulgâche pas, cela ne faisait plus rire personne. La boule au ventre a pris le dessus ; il ne s'agit plus de manger dans l'assiette des riches ; il ne s'agit même plus de réclamer quoi que ce soit. Arthur, qui a changé de nom de scène et s'appelle le Joker dorénavant, celui qui fait des blagues dont tout le monde se moque, est là pour dénoncer le simulacre de notre réalité sociale et se rire du chaos à venir.
Vous vouliez du spectacle ? Votre spectacle est fini, mais celui du Joker ne fait que commencer. Celui qu'on pensait être un personnage de tragédie, abandonné par les siens, abandonné par les hommes, qui rêvait d'être un artiste et que son nom s'affiche en grand à côté de ceux de ses idoles, se transforme en roi funeste de la comédie humaine, la plus folle de tout Gotham. Si les incendies de bagnoles ont remplacé les feux d'artifices, si les lynchages de policiers ont succédé aux SDF qu'on tabasse dans les tunnels du métro, tout ce qui compte c'est notre quart d'heure de célébrité à l'écran. Arthur Fleck est pris au sérieux à présent…