Le public avait été prévenu, Joker, tout juste auréolé du lion d'or à Venise, ferait du bruit, autant qu'il serait couronné de succès. Todd Phillips n'a pas démordu. Sa réalisation, portée par un Joaquin Phoenix époustouflant dans le rôle de sa vie, est une véritable gifle, peut-être la plus violente depuis le Batman de Christopher Nolan.
Si Joker est si bon, c'est avant tout parce qu'il transcende les codes du genre cinématographique dans lequel il s'inscrit, à savoir le film d'action " super-héroique ". Le spectateur n'est pas confronté à l'habituel scénario apocalyptique dans lequel la situation est sauvé de justesse par un bienfaiteur costumé. Ici, c'est à une genèse que l'on assiste froidement, celle d'Arthur Fleck, un clown triste sombrant graduellement dans la folie jusqu'à devenir le Joker. Phillips opère un premier tour de force en intégrant une forte dimension psychologique à son personne qui se voit doté d'une profondeur essentielle à l'ambiguïté de sa démence. Car progressivement, le spectateur en vient également à douter de ce qu'il visionne ; réalité ou pur fantasme de l'anti-héros ? La folie s'immisçant partout, le réalisateur joue d'une subtile déconstruction du réel laissant place à une riche interprétation des séquences du film.
Bien qu'on pourrait le reprocher, la violence physique est en fin de compte minime comparée à la cruauté psychologique qui règne mais elle est sublimée par une réalisation parfaite à l'instar de la scène de meurtre des 3 yuppies dans le métro. Appuyé par un jeu de lumière hypnotisant entre lumière blafarde et sombreur, ce passage semble illustrer abstraitement la situation mentale et le combat intérieur d'Arthur. Chaque plan est d'une noirceur jouissif, magistralement rythmé par le violoncelle enivrant d'Hilden Guonadottir qui instaure une tension permanente, prête à éclater au moindre soubresaut. Mais surtout, Joker est un chef-d'oeuvre de jeu d'acteur. Joaquin Phoenix est époustouflant tout du long, réalisant une performances historique ponctuée d'un rire tonitruant qui ne manquera pas d'être récompensé aux Oscars. On n'oubliera pas de saluer l'habileté avec laquelle Phillips rattache ce spin-off à l'univers DC, même s'il semble créer une incohérence entre l'âge du jeune Bruce Wayne et celui du Joker.
Au final, c'est une œuvre saisissante que signe ici Tedd Phillips. Ce fût un pari gagnant de miser sur des choix artistiques plus assumés, délaissant les effets spéciaux au profit d'une place plus importante de la photographie qui sert le film à merveille. Réalisation différente, donc, des précédents blockbusters en accordant davantage de place à la psychologie qu'à l'action. Joker ne fait pas fi des peurs actuelles et porte un message politique qui semble être le reflet de nos sociétés contemporaines qui risquent de s'embraser au moindre souffle.