Puissant. Fascinant. Et je dirais même osé.


La performance de Phoenix force le respect. En regardant seulement quelques secondes de la bande-annonce, on sent la puissance de son implication dans le personnage du Joker. Cela faisait longtemps qu'une bande-annonce ne reflétait pas à merveille et avec exactitude tout le contenu d'un film. Après visionnage, le constat est là : tout y est, les envolées musicales, la folie ambiante du Joker et l'audace de ne pas mettre trop de dialogues. Laisser parler les émotions de ses personnages, dans ce qu'elles ont de plus fortes. Les mots ont été choisis avec soin. La cruauté de la folie furieuse du Joker est à l'image de sa descende aux enfers. A mesure qu'il se sent de plus en plus abandonné, à partir du moment où il perd les quelques repères qui lui restaient (famille, travail...) il devient alors totalement dénué de toute forme de raison et laisse exploser sa "joie" de vivre.


Donc, le Joker est un personnage immensément riche et profond. Le film ne tend pas à dépeindre toute la complexité de ce rejeton inavoué et laissé pour compte. Il y a cette désagréable sensation de ne jamais savoir si ce qui est montré à la caméra est vrai ou faux, comme une lobotomie qui se met à nu sous nos yeux et qui laisse planer le doute sur la santé cérébrale d'Arthur. Outre la mise en scène qui permet cela, l'individualisme de la société est aussi pointé du doigt à travers des dialogues courts et concis, ponctués par quelques rires fous. Arthur Fleck ne reçoit à aucun moment le soutien dont il a besoin et qui est nécessaire pour son rétablissement psychologique. Il est le résultat d'une enfance torturée, d'un monde qui l'est tout autant et de ce fait il grandit en ayant des cicatrices qui ne se referment jamais, créant un paradoxe dans son esprit. De plus il devient l'objet d'une population qui trouve en lui le moyen de purger tout mécontentement et leur rancoeur à l'égard des politiques. Ils n'ont alors pas le courage de se soulever autrement qu'en désignant ce monstre qu'est Arthur, capable de franchir la ligne rouge pour eux. Dans tout ce bazar et derrière le masque, derrière les traits d'Arthur il y a le Joker qui peu à peu se dévoile, au début de manière inoffensive, puis de plus en plus cocasse, devenant à la fois plus agressive. On reconnait là cet antagoniste iconique qui ne cessera plus jamais de rire et en commettant les crimes les plus abjects, sans se soucier de la bienpensance. Arthur n'est pas intéressé par la cause qu'il crée, il est seulement intéressé par l'attention qu'il capte en sombrant dans la folie. Ses troubles mentaux sont le reflet de ce que peut devenir un homme à qui on a enlevé toute part d'humanité. Et pourtant... il est bien plus humain que n'importe qui car ses réactions sont naturellement désemparées, et c'est toute cette avancée dans l'histoire du Joker qui vient mettre le feu aux poudres et ainsi déclencher la mythologie de Batman.


À ne pas mettre entre toutes les mains, ce Joker est un film-malade, passionnel et subjectif. Il ne tente pas de livrer un message unique, indiscutable ou politisé, seulement à travers une succession d'images qui nous plongent dans l'intimité d'un homme que personne n'a pris au sérieux. Dans la rue personne ne l'a entendu crié.... C'est triste à entendre mais c'est beau à voir, c'est délicat de prendre parti pour tel ou tel personnage quand ceux-ci sont aussi controversés, mais c'est aussi ça qui fait le charme et la richesse de cet univers qu'on a pas fini d'adorer. Un Joker 2 ne serait pas de trop, mais si le duo Todd Phillips/Joaquin Phoenix décide d'en rester là avec ce "one-shot", on aura du mal à leur en vouloir.


Une belle prouesse, inespérée, redonnant ses lettres de noblesse au clown tueur.


(8,5/10)


Bonus :



« “ L'enfer c'est les autres ” a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous. » — Sartre, Commentaire sur le CD Huis Clos, 1964



Je trouve que cela dénote pas mal avec le Joker de Joaquin Phoenix.

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le 11 oct. 2019

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Eren

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