Rares sont les films dont on connaît déjà la fin avant qu’ils ne commencent, c’est pourtant le cas ici : d’avance on sait qu’on va nous conter l’histoire d’un méchant emblématique et charismatique, d’un méchant qui ne nous est pas totalement inconnu. Et pourtant, dès les premières images, on ne peut s’empêcher de se demander comment cet Arthur Fleck, clown des bas-fonds, à l’allure si frêle, au regard innocent, va-t-il devenir ce méchant. Tout l’enjeu du film pourrait se résumer par cette question « comment devient-on un monstre ? »
Pour y répondre un cadre : Gotham City, très proche du New York des années 70 et surtout un personnage : Arthur, magistralement incarné par Joaquin Phoenix, au sommet de son art. Ce jeune homme a tout de la panoplie du loser : physique atypique, corps frêle, vivant seul avec sa mère, et sujet à des crises de rire compulsives, incontrôlables. Derrière ce clown triste, se cache un homme qui rêve d’être une star du stand-up, qui rêve de reconnaissance et d’amour. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu : humiliations à répétition et mépris généralisé d’une société qui n’accepte pas la différence vont nourrir en lui un fort sentiment d’injustice. Terreau propice à la naissance du Joker. Plus isolé que jamais, il n’a d’autre choix que de rebattre les cartes, d’inventer ses propres règles du jeu, de créer sa réalité où la tragédie devient comédie, où les losers deviennent les héros. En somme, il crée un monde où il a tout simplement le droit d’exister.
On ne peut rester indifférent devant la rhétorique implacable du film. Car l’origine du Mal incombe autant à la société, si ce n’est plus, qu’à l’individu. Au-delà de la violence du Joker, le film nous force à réfléchir à la violence de nos sociétés actuelles. En effet, que dire d’une société où l’on nie la différence ? Que dire d’une société qui crée des monstres ? Plus encore, est-ce vraiment la société que nous voulons ? Une autre issue est-elle possible ?
Résolument moderne donc, mais aussi très poétique avec des moments de grâce, d’une rare beauté, comme ces scènes de danse qu’on gardera en tête longtemps.
Un film majeur, autant par sa forme que par le propos qu’il sert, redonnant de sa superbe à la figure de l’anti-héros.