Pas évident de décrire l'état dans lequel on se retrouve après le visionnage...
D'un côté on est abasourdi par un Joaquin Phoenix au sommet de sa folie artistique, d'un autre on a le furieux sentiment qu'il manque quelque chose de capital.
Todd Phillips n'est pas une référence dans le cinéma d'auteur : Very Bad Trip 1, 2, 3 etc, on a pas affaire à un gars qui impose sa patte en films dramatiques.
Pourtant, je dois dire que j'ai été surpris. Je ne reviendrai pas sur les comparaisons à King of Comedy de Scorsese car c'est évident et ça a déjà été épluché. Par contre j'ai envie de faire un parallèle avec l'univers "Batman" dressé par Christopher Nolan.
Là où Nolan dresse un portrait éternellement froid du monde (comme dans chacun de ces films), avec des héros résolument tournés vers la noirceur ; ce Joker ouvre une fenêtre un peu plus artistique. Exit la photographie ultra technologique et les effets spéciaux hors de prix d'un Dark Knight, Phillips appuie sur les couleurs et des luminosités intéressantes... travaille sérieusement les profondeurs de champ et mets en valeur les péripéties de son acteur principal.
Si Heath Ledger a marqué l'histoire du rôle à juste titre, il me semble que la réalisation du Dark Knight n'a pour autant pas vraiment mis en avant les valeurs portées à l'écran par l'acteur, se contentant de montrer un Joker plus cruel et manipulateur que jamais.
A l'époque, ça m'avait gonflé car ce personnage aux origines complexes restait une fois de plus dans son plus fidèle apanage : la violence gratuite.
Le film Joker de 2019 montre autre chose. Que la folie ne naît pas forcément d'un bain d'acide dans une usine de produits douteux abandonnée par les industriels, mais qu'elle peut apparaître en chacun de nous, d'un quotidien crasseux à une histoire d'enfance abominable et traînée toute une vie. Pour moi, la plus grande réussite de cette adaptation reste le fait de montrer une progression dans l'arrivée d'une maladie mentale, de faire comprendre qu'elle s'insinue plus souvent dans nos vies comme une longue addiction, plustôt que sur un coup de théâtre.
Les évènements à forte teneur en adrénaline ou les chocs émotionnels font le reste !
Bref, l'idée est bonne et assez originale sur le papier. Et ça fonctionne pas trop mal en début de film même si certain pourront trouver ça plutôt long, mais la progression temporelle du récit est je trouve justifiée.
Pour le reste, je dois avouer que c'est cruellement mal écrit !! Un enfant de 6 ans pourrait deviner en moins de 5 minutes les tenants et aboutissants de l'histoire ici présentée. Pas d'intrigue, pas de de réflexions cachées, pas de développement. Phillips s'est arrêté à une simple question : comment naît un "Joker" ? La réponse est intéressante, mais ne tisse aucune toile vers un autre film, un autre raisonnement. C'est fort dommage de se tirer une balle dans le pied à ce point avec un scénario original...
En fait, et c'est quelque part encore plus énervant, la cohésion du film ne tient qu'à un seul élément : l'interprétation de Phoenix.
Grand acteur aux rôles choisis et souvent transcendés, impossible de ne pas une fois de plus considérer son génie à l'écran. Clin d'oeil à son ami Ledger, Joaquin nous montre dans Joker un personnage accablé par une vie de misère, remarquablement écarté par une société aveugle à toutes ses souffrances. Le ton est juste, l'aspect physique et le travail sur la gestuelle du Joker sont impressionnants !
Une fois de plus, si le récit tenait la route, on aurait pas affaire à ces "rires" incessants. Enorme erreur de la part du scénario que d'appuyer le handicap du personnage à ce point. Encore une belle idée piétinée par un manque de savoir-faire. Il est difficile de passer à côté de ces redondances qui finissent par gâcher certaines scènes, et en parti le jeu formidable de l'acteur principal.
En fait, je savais que j'allais voir avant tout autre chose Joaquin Phoenix dans une grand rôle de composition dont lui seul à le secret. Je ne m'y suis pas trompé. Il est égal à lui-même.
La photographie du film fait de beaux effort et donne une touche plus artistique et travaillée à ce personnage important de l'univers de Batman, qu'on aime voir sous son plus beau jour.
Seulement l'ensemble manque de cohésion et perd en crédibilité sur des détails qui ne trompent pas. Un scénario pauvre et une réalisation décousue enlèvent à ce qui aurait pu être un grand film les petites notes de folie qu'il aurait mérité.
J'ai passé un moment étrangement bon devant l'écran, mais amer à la sortie.
Phoenix mérite le 7/10, mais le reste ne passe pas le 6...