Les héros de Comics vous indiffèrent et les films de super-héros ne vous intéressent pas le moins du monde ? Cela tombe bien, Joker devrait enchanter (aussi) ceux qui ne jurent que par le cinéma d'auteur, à condition qu'il soit intelligent. Il faut bien l'avouer, le Lion d'Or obtenu à Venise avait de quoi susciter de légitimes interrogations et une grande curiosité. Toutes les préventions sont assez vite balayées par les premières images de Joker : voici un film qui place ses pions sans tarder avec un personnage pathétique et un environnement sordide. La violence, le cynisme et la morgue des puissants n'ont jamais été aussi bien montrés que dans Joker, débouchant sur une révolte des humiliés qui évoque des rébellions pas seulement américaines et proches de nous. Et dans ce contexte, le rire du clown, bienveillant au départ, ne peut devenir qu'un rictus de haine devant l'injustice sociale. Très référencé, de l'expressionnisme muet à Scorsese, le film de Todd Phillips, cinéaste guère passionnant jusqu'alors, étonne par sa maîtrise continuelle, sa puissance narrative et sa cohérence visuelle. Evidemment, sa réussite serait moindre s'il n'avait un stradivarius comme interprète. Cependant, on oublie rapidement la performance pure d'un Joaquin Phoenix éblouissant pour ne s'attacher qu'au mal-être de ce Joker, réceptacle de toutes les mortifications et oppressions sociales. Hallucinant de radicalité, d'une tristesse infinie et d'une poésie ambigüe intégrale, Joker se prête à toutes les analyses politiques possibles. Mais laissons les exégètes en discuter à l'envi, le plus important est ce mélange de plaisir et de malaise que l'on prend devant un long-métrage qui restera parmi les plus grandes commotions cinématographiques de l'année.