Le film s'ouvre sur un visage. Celui d'un homme dont le regard se perd face au reflet trouble d'un miroir, un homme dont l'âge est rendu incertain par un entrelacs de rides et de cheveux, un homme dont le fou rire soudain est un appel à l'aide, un homme dont le travail est celui d'être un clown raté dans une ville, Gotham, en pleine perdition.
Joker est la description, stupéfiante et remarquable, de la chute d'un homme, Arthur Fleck, qui va sombrer dans la folie et la violence pure face à la sauvagerie et l'immoralité du monde. Car Joker est à la fois le portrait intimiste d'un être trop fragile et instable pour la cruauté du monde extérieur et la radiographie d'une société à la noirceur sans égal, dont les vices et les vicissitudes sont poussées à leur paroxysme jusqu'à la rupture.
Le film de Todd Phillips est puissant car il fait résonner chez chaque spectateur une réalité pas si lointaine et fictive. Celle d'une société où certains individus, des "loups solitaires", plongent dans la brutalité la plus grande, où les médias manipulent et jouent avec les espoirs et les croyances de chacun, où des masses collectives se soulèvent et s'indignent sans horizon clair.
Mais Joker peut aussi être contemplé comme une pure oeuvre artistique, détachée de tout contexte social, et centrée sur la folie universelle et atemporelle des hommes. Arthur Fleck est ainsi bien plus que celui qui deviendra le némésis de Batman, mais aussi l'incarnation des troubles de la psyché humaine.
Loin d'être le simple film sur les origines de l'ennemi juré de l'homme chauve-souris, Joker est une oeuvre polymorphe, à la fois film de super-héros, portrait intimiste, polar noir et brulot social. Et si je n'ai jamais cité le nom de Joaquin Phoenix dans ma critique, c'est simplement parce que l'interprète se fond tellement dans son personnage, et les méandres de sa folie, que l'on oublie totalement que nous avons un acteur devant les yeux. Joaquin Phoenix ne joue pas le Joker, il est le Joker.