Waouh !
Quel film !
J'avoue avoir vécu l'annonce de Joker avec la plus plate indifférence. Après tout, j'ai toujours eu une préférence pour l'univers Marvel, par rapport à DC, et ce depuis que j'ai découvert les comics. Bon après je trouvais l'idée intéressante, d'explorer les origines d'un super vilain emblématique (on a jamais eu ça en film chez Marvel). Mais ça ne m'intéressait pas. J'étais trop subjugué par les BA d'Avengers Endgame, m'attendant déjà à voir le film de l'année, en pur fanboy que je suis (oui, je laissais de côté toute objectivité et tout esprit critique en disant cela).
Pour moi, DC était fini, les derniers films sortis ont été des fiascos commerciaux (bien que je ne puisse pas en dire quoi que ce soit de personnel en bien ou en mal, puisque je n'en ai vu aucun). L'hégémonie de Marvel sur l'industrie du blockbuster de super-héros me semblait assurée pour longtemps. Et puis, je me suis rappelé d'une certaine trilogie, ayant pour héros un homme chauve-souris, réalisée par un certain Christopher Nolan, les trois seuls films DC que j'ai regardé dans ma vie. "Ce n'est que l'exception qui confirme la règle" me disais-je. "Ils ont eu la chance d'avoir el Maestro Christopher fucking Nolan, mais ça ne se reproduira pas".
Et puis, Joker a commencé à faire du bruit. Il y a d'abord eu le lion d'or de Venise, et puis j'en entendais de plus en plus parler autour de moi. J'ai commencé à m'y intéresser, à me renseigner. Et puis j'ai regardé la BA. Et là j'ai compris que ce ne serait pas un banal film de super-héros, comme on en sort trois par an chez Marvel. J'ai compris que ce serait quelque chose d'autre, quelque chose qui se rapproche plus du "vrai cinéma" comme dirait Martin Scorsese. C'est ce qui m'a motivé à aller le voir. J'y suis allé pour l'aspect cinématographique plus que pour l'aspect "Joker". Et bien je n'ai pas regretté une seule fois.
Joker est un film qui, s'il ne plaira pas à tout le monde, ne laissera en aucun cas indifférent.
Tout d'abord l'ambiance du film rappellera une atmosphère scorsesienne de film noir, dont la référence est totalement assumée par Todd Phillips, le réalisateur. On retrouve cette ville crasseuse, inquiétante, avec toutefois de nombreux plans de jours teinté d'une impeccable photographie teintée de vert (la couleur emblématique du Joker), qui ne la rendent que plus sombre. Et c'est dans cette univers urbain misérable qu'évolue le personnage principal du film, Arthur Fleck, un clown qui rêve de devenir humoriste, mais qui, en lieu et place de faire rire les autres, est atteint d'un handicap qui déclenche chez lui des crises de fou rire incontrôlées. L'ironie est ainsi mise en place dès le début, un cynisme cruel marquera la totalité des deux heures de film. Car oui, il dure bien deux heures, deux heures durant lesquelles on ne s'ennuie pas une seconde, tant c'est dense. En effet, le rythme est très bien dosé et s'il y a peu d'action, du moins dans le début du film, il se passe tout de même beaucoup de choses, particulièrement dans la tête d'Arthur et qui vont conduire à sa transformation en clown psychopathe. Si bien que, à mon sens, aucune scène n'est de trop, chaque seconde a son utilité. Le personnage d'Arthur est magistralement bien écrit, son basculement dans la folie meurtrière (bien qu'il soit déjà "fou" au début du film), est palpable.
On pourrait aussi souligner la performance époustouflante de Joaquin Phoenix, qui, je l'espère, lui vaudra un Oscar. On pourrait presque croire qu'en plus d'avoir interprété le Joker, il est devenu le Joker. On notera aussi l'excellente OST composée par Hildur Guðnadóttir (j'avoue, j'ai copié/collé son nom), qui contribue grandement à apporter une atmosphère si particulière à l'oeuvre.
Le film rappellera de nombreuses autres oeuvres, telles que l'ambiance de Taxi Driver, ou encore Breaking Bad dans la construction de son personnage qui se sent réellement vivant en faisant le "mal". Mais malgré ces multiples références, il parvient à se créer une identité propre.
Enfin, on peut aussi parler de l'importance des détails, ainsi que de la symbolique omniprésente dans le film, que je vais développer, attention spoilers !
La scène dans le cinéma où est diffusé un extrait des Temps Modernes de Charlie Chaplin est, à mon sens, lourde de sens et de symbolisme. Tout d'abord on peut y voir un simple hommage au réalisateur. Mais la scène diffusée n'est pas anodine. On y voit le personnage de Charlot, manquant de tomber dans un trou à plusieurs reprises. Comme par analogie avec Arthur qui, lui, tombe définitivement dans le mal. Le film choisit, traite même de l'aliénation de l'homme par la société, du mépris de classe, tout comme la société diégétique dans laquelle évolue le futur Joker. Et les spectateurs rient aux éclats, sans se soucier du "message" derrière l'oeuvre qu'ils sont en train de visionner, tout comme ils ne se soucient pas de la misère qui les entourent, préférant s'en moquer, tel que le fera Murray. Enfin, on pourrait presque y voir une mise en abyme du spectateur qui oserait se moquer d'Arthur.
La scène de fin est aussi très symbolique, puisqu'on voit le Joker se "forcer" à sourire comme au tout début du film, la seule différence étant que cette fois-ci il y parvient, et il est, en plus acclamé, comme s'il avait réalisé un spectacle à succès.
Je terminerai en disant que ce film parle, il nous parle à nous spectateurs. Il a beau se passer dans les années 80, les thèmes abordés sont contemporains de notre société actuelle, si bien qu'on pourrait se demander qui est le véritable antagoniste du film : Thomas Wayne ? Arthur lui-même ou plutôt le Joker ? La société en elle-même ? Ou bien tout cela à la fois ? On dira que ce film fait l'apologie de la violence, mais je pense que c'est tout l'inverse. On pourrait voir ce film comme une mise en garde, une mise en garde contre les sociétés sur le point d'exploser, qu'une seule étincelle peut suffire à embraser. Joker possède ainsi plusieurs niveaux de lecture, et il en devient de ce fait un film qu'il est nécessaire de voir plusieurs fois.
En définitive, ce film est une grande oeuvre qui réussit à prouver qu'un film de super-héros (ou de super-vilains en l’occurrence) ne doit pas nécessairement suivre des codes pré-établis, et peut avoir des ambitions artistiques motivées par autre chose que le profit. C'est un film dont on se souviendra assurément encore longtemps !
EDIT : Bon après avoir vu The Irishman, il est clair que le film de l'année ne peut plus être Joker ^^