Le Joker signe son grand retour. Après sa catastrophique participation au film Suicide Squad, porté à l’écran par Jared Leto, je ne pouvais qu’exalter à l’idée de mettre en scène le brillant Joaquin Phoenix dans un film exclusivement dédié à l’histoire de ce personnage si complexe.
Et quelle réjouissance ! Dès la première scène je me sens frissonner de bonheur lorsque nous assistons à cette mise en bouche, ce sourire, ce regard désespéré et glaçant du Joker face à son reflet.
En supprimant toute allusion à un potentiel univers fantastique possédé par les super héros, le réalisme brut de ce Gotham des années 70 nous étouffe. Une ambiance poisseuse se dessine, la tension permanente qui prend cette ville au tripes vont participer à l’émergence d’un symbole : on assiste à la naissance du Gotham que nous connaissons. Cette atmosphère nauséeuse est renforcée par un constat : Gotham City est construite dans l’idée qu’elle est à l’image de n’importe quelle grande métropole mondiale. Un sentiment familier commence alors à nous envahir, et c’est dans son pouvoir d’identification que ce film tire toute sa force. Car Todd Philipps critique ouvertement notre société, la politique mondiale et en particulier celle de son pays. En plein ère Trump, Joker est une attaque violente contre l’abus des riches et l’abandon des classes inférieures.
Tout le long du film est distillé un signal d’alarme : cette « folie dehors », celle qui gangrène Gotham, Arthur en deviendra le symbole, celui de cette population laissée pour compte. Il fera de cette folie son destin, pour se transformer en fer de lance du chaos. Ce système qui l’a abandonné a ainsi crée son propre monstre. Joker devient alors ce qu’il a toujours été à mes yeux : l’antéchrist. Nous verrons dans le film que Batman n’existe pas encore mais leurs destins sont déjà liés : la naissance du justicier et de son adversaire ont une même racine.
Un imaginaire biblique se dessine durant le film, surprenant mais subtil à la fois. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » se répète dans notre tête. Par ailleurs, plus le film avance, plus nous commençons à nous interroger : est-ce une descente aux enfers ou une montée vers la lumière ? Je vous laisse vous en faire votre propre idée.
Ces nombreuses réflexions autour du récit sont d’une richesse incroyable pour le spectateur, car il ne peut que s’approprier, vivre, ressentir ce chef d’œuvre qui lui est proposé. Ceci est possible grâce à la maîtrise du réalisateur. Nous sommes obnubilés par l’ascension du Joker, qui a pris place suite à la douce et lente mort de Arthur ; car aucun second rôle ne vient interférer dans cette obsession.
Mais je dois surtout rendre à César ce qui est à César : merci Joaquin Phoenix. Merci d’avoir apporté tant de dimension à ce personnage incroyable en nous livrant un jeu d’une précision absolue, pour nous marquer à jamais d’un personnage profond. Phoenix a littéralement donné corps au Joker, au propos du film, à son univers, à sa première comme à sa dernière scène. La symbolique du corps est un aspect qui m’a réellement marqué. Ce corps décharné, aliéné, résolu d’Arthur se mue lorsqu’il devient Joker. Il se dresse face à son destin, aux autres et imprègne chaque lieu et chaque instant d’un charisme magnétique.
Un instant de l’œuvre illustre cela : celui d’une transe macabre, une frénésie tragique, une danse glaçante et poignante de beauté, qui nous délivre un moment d’une noirceur infinie. Le pouvoir du corps dans une scène muette.
Vous l’avez constaté, il est difficile pour moi de trouver des critiques négatives à émettre contre ce film qui m’a bouleversé. Cependant , je dois l’avouer, la première heure du film m’a fait quelque peu douter. Des histoires connexes viennent légèrement parasiter le propos, notamment celle qui la lie avec Wayne. Cette dernière traîne en longueur, j’ai eu la sensation amère d’un besoin de justifier à tout prix par cette relation le désespoir d’Arthur, de combler des blancs. Inutile pour un Joker qui n’a nullement besoin de justification ! Des histoires d’amour viennent également se greffer, que je n’estime pas essentielles pour en venir au propos qui se suffit à lui-même. Mais pire, un raccourci freudien plus que facile vient me sauter aux yeux en plein milieu du film !
Cependant, tout ce que j’avais tiré dans le doute de cette première heure s’efface au profit d’un conclusion finale bouleversante. Je passe les dernières minutes du film frémissante, le sourire accroché aux lèvres, comblée par un tel chef d’œuvre.
Joker a définitivement rempli son contrat : « let’s put a smile on that face »