Au vu du nombre de critiques déjà parues sur ce site, je vais avoir beaucoup de mal à faire quelque chose d'original. De plus, ce film est intriguant et je doute fort d'en détenir les clés, à supposer déjà qu'il y en ait. Trois thèmes me semblent cependant en ressortir.
Premier thème : les comics et les super-héros. Le plus évident car bien entendu, c'est la toile de fond de l'intrigue et les personnages sont issus de cet univers là. Mais ce n'est pas un film comme tous ceux qui ont déjà été réalisés autour de Batman. Pas d'effets spéciaux, pas de batmobile, pas de cascades vertigineuses. Non plus que d'affrontement final aboutissant au triomphe du bien sur le mal. Alors oui, les clins d'oeil sont nombreux, mais Batman est encore un enfant au moment où se déroulent les faits. Et ce à quoi l'on assiste, ce ne sont finalement que les débuts de Joker, la naissance de sa vocation, en quelque sorte. Une rupture, à n'en pas douter, avec les archétypes du genre.
Second thème : la folie. Celle de Joker. Jouée de façon démonstrative par Joaquin Phoenix. Il y a probablement des films qui montrent mieux la folie que celui-ci, mais il y en a sans doute peu qui la montrent plus. Folie dans laquelle le spectateur est entraîné, à ne plus savoir ce qui relève de la réalité et ce qui relève des rêves et des fantasmes de Joker (et de sa mère). A supposer que le scénariste ait prévu, justement, une réalité et des fantasmes à côté. Ce qui n'est même pas certain, à mon avis. Les scènes se suivent et s'enchaînent, et, patatras, voilà qu'une autre version des faits surgit tout à coup. Et qu'on s'en va faire un petit tour en hôpital psychiatrique. Il n'y a pas à dire, c'est bien ficelé, en mode entonnoir sur la tête.
Troisième thème : la critique sociale. A cet égard, le propos est plus net. Et l'humiliation, omniprésente, dont Joker est l'objet apparaît sans équivoque comme un catalyseur de sa folie. Toujours est-il que les piliers d'une société de type disons étasunienne passent tous à la moulinette : police, médias, politiciens, ultra-riches. Qui rivalisent d'un mépris de classe qui s'affiche avec fierté, une complète absence de vergogne et une grossièreté parfaitement décomplexée (jusque dans ses blagues). Et le plus étonnant est sans doute le mouvement social et les manifestations que vont déclencher les premiers faits d'armes de Joker, lorsqu'il flingue trois brokers en goguette qui harcelaient une jeune femme dans le métro. Car ce qui va en découler colle de façon surprenante à l'actualité (mondiale) de cet automne, alors que le film a certainement été conçu et tourné, il y a quelques mois voire une paire d'année. Prémonition du réalisateur quant au déclin de l'ordre mondial néo-libéral ?
Tout ça nous fait un film qui sort complètement des sentiers battus et des stéréotypes de genre. Parce qu'il entremêle des thèmes qui le sont rarement, voire jamais, au cinéma. Chouette prise de risque, bien soutenue par des décors somptueux et crépusculaires à souhait. Le moins surprenant dans tout ça n'étant pas que son réalisateur s'appelle Todd Phillips. Oui, oui, celui des very bad trip, cette fameuse trilogie qui a inspiré les beuveries de tant de nos promotions d'étudiants...