Je me devais d'apporter ma pierre à l'édifice, pour une note que je n'assume toujours pas entièrement. Pourtant...
Époustouflant, c'est peut être par ça qu'il faut commencer, ce qui est époustouflant. D'abord, la prestation de Joaquim Phoenix, un objet rare, unique. Il est très rare de voir des acteurs de cette dimension et c'est à saluer. Rares sont ceux qui réussissent à faire oublier totalement qu'ils sont eux mêmes au point que l'on se demande parfois s'ils ne sont pas plusieurs tant ils deviennent méconnaissables, dénués de leur propre essence égotique, dévoués seulement à l'incarnation et ici, une terrible incarnation, gutturale, douloureuse , osseuse, épidermique, décharnée, totalement et exclusivement aboutie. Il rejoint la cour des exceptions, celle des plus grands acteurs de ce siècle et du précédent, et en ce lieu la confrontation référencé avec ce mentor supposé, De Niro, ne souffre pas la comparaison. Le Phoenix est d'un autre bois, d'une autre école, d'un autre monde et absorbe inévitablement toute autre présence, comme son prédécesseur pouvait le faire en son temps.
Époustouflante, la bande son car sans cet habillage la dramaturgie ne prendrait pas cette dimension, magnifiant clairement la prestation d'acteur, soulignant un rythme particulier, transcendant une photographie granuleuse et colorée de touches subtiles.
Venons en donc à la photographie, qui sans être époustouflante n'en est pas moins d'une qualité et d'un travail si remarquable qu'on en aurait presque oublié la possible existence. De nombreux plans pourrait être retenus comme figures picturales en elle mêmes et rendent un hommage plus que délicat aux dessinateurs de bande dessinées sans pour autant en oublier l'essence cinématographique. C'est pictural, contrasté, nuancé presque magistral.
Et pourtant, et pourtant...
Il manque des essences essentielles qui propulseraient ce geste de cinéma au chef d’œuvre. Pourquoi donc retomber dans la gloutonnerie d'un cinéma narcissique? Pourquoi engendrer l'absurde raison du comédien dans le personnage du Joker et du cinéma qui interroge sa fonction ? Bien sûr le personnage originel s'interroge sur la représentation et questionne l'importance de l'image, alors pourquoi pas ici. Eh bien tout simplement parce que ça n'a pas de raison d'être dans un film sans Le Batman. Car là où le film est prouesse en nous dispensant de la présence de tout héros, il devient quelconque en tentant de nous l'expliquer.
Et plus encore en justifiant la folie comme seule réponse, et le rire maladif et conditionné comme seule arme dérisoire contre la noirceur et l'inéluctabilité de la misère, Joker manque de perdre définitivement l'équilibre qui en ferait un incontournable. Enfin la vision très "V pour Vendetta" est une belle référence, où très "anonymous" le film se porte à sa symbolique, mais le goût est amer, inachevé, le monstre est excusé et pardonné.
On notera la belle figure acrobatique pour faire retomber le doute, qui malheureusement a été trop vite éteint, dans cet ultime blague :" vous ne pourriez pas comprendre".
J'en reste sur ma faim malgré toutes ces qualités et partagé mais sans doute était-ce le but, il m'a ôté toute envie de rire, me laissant sans éclat , comme souvent cette année, dubitatif, dans une satisfaction bien mitigée.